POUR
ALLEGER LE FARDEAU
Jeanne
Hyvrard
Récit
2005-2014
Ce
n’est pas la première fois que j’ai tenu - durant une année entière - un agenda
sur un thème déterminé, comme on se tient à la rampe pour ne pas s’affaler dans
l’escalier un peu raide, alors qu’elles-mêmes les forces déclinent. Le tout
premier exercice de ce genre a concerné la marche et s’est ouvert à l’automne
1989 - peut-être à cause de la chute du Mur de Berlin et de la réorganisation
du monde qui semblait devoir rapidement en découler. Ainsi est né le texte dit
du Marchoir publié lui-même en complément d’un
autre texte trop court, une dizaine d’années après.
Depuis
bien d’autres exercices de ce genre ont suivi, toujours selon le même procédé
qui m’amenait à rédiger au propre les premières notations une fois l’année
écoulée, le travail se résumant souvent à une simple opération d’écriture, au
sens où ce qui avait été simplement inscrit au jour le jour, ne pouvait pas
être considéré comme écrit.
C’est
qu’écrire est une toute autre affaire. Il s’agit alors d’une mise en forme dont
les notes se passent aisément. Quant à la création d’un texte – opération elle
même au-delà de l’écriture – c’est une autre paire de manches. Quant à ce qui
fait l’œuvre – à savoir la littérature elle-même – elle est par
delà tout cela un horizon qu’il faut éventuellement un certain courage -
accompagné de détachement et d’ascèse - pour essayer de ne serait-ce que
l’approcher.
Ainsi
recherchant - plutôt que retrouvant - ce petit agenda de 2005 ai-je d’abord
pensé qu’il en serait de même pour celui-là comme pour tous ceux qui l’avaient
précédé en donnant lieu à des textes qui m’avaient satisfaits comme Au
présage de la mienne à partir de celui de 1994 ainsi que La formosité publiée en 2000 sur le thème de la beauté
chaque jour rencontrée - voire même au pire pour le meilleur - recherchée.
Titré
à l’origine Au bonheur du livre, cet agenda conservé depuis une
dizaine d’années avait retenu comme contrainte, comme thème structurant, la
rencontre quotidienne avec la réalité des livres. Il prétendait de surcroît
remplacer une chronique tenue à la Mi-Octantes pour
être envoyée à une amie.
Chronique
que j’avais finalement renoncé à publier d’une part parce qu’elle n’avait pas
été écrite pour cela mais plutôt comme une simple correspondance dont néanmoins
la conservation d’un double signait tout de même l’ambiguïté, mais également
parce qu’elle s’était avérée d’une densité insuffisante, trop lâche comme on
pourrait le dire d’un tricot mal ouvré s’apprêtant à bailler de tous les côtés.
Doubles dont j’avais fini - comme pour toutes mes correspondances - par me
débarrasser.
Mais
en réalité, lors de cette mise au propre, il s’est passé l’inverse de ce qui
était à chaque fois jusque là, survenu. L’objectif
s’est dévoilé comme n’étant pas cette fois seulement l’amélioration d’un
travail déjà commencé mais une opération d’une toute autre nature.
L’objet
n’était pas du tout là de peaufiner un manuscrit démarrant par une simple prise
de notes mais plutôt de se débarrasser d’un carnet qu’il n’était pas plus
question que dans les cas précédents, de conserver. Mais si pour les œuvres
déjà achevées la destruction de l’original était un effet secondaire de la mise
au propre qui le rendait de mon point de vue inutile, la destruction du premier
texte était dans ce nouveau cas, le vrai but.
Au
point même que le sous-titre Pour alléger
le fardeau rajouté après la traditionnelle relecture de fin d’année,
opération simplement destinée à la correction des fautes d’orthographe, des
simples coquilles ou des propos incompréhensibles m’avait néanmoins semblé de
prime abord bizarre avant de s’avérer ex post, fournir la clé de
l’affaire !
L’objet
de l’agenda n’avait pas du tout été comme je l’avais cru lors de sa réalisation
matérielle, de collationner chaque jour le bonheur du livre, mais presque à
l’inverse de masquer le drame dont il était alors l’objet, voire l’enjeu.
L’année 2005 il s’était bien agi de faire face au nouvel ordre qui émergeait de
la Révolution Cybernétique : une globalisation qui nous était à nous en
tant que nation de plus en plus défavorable voire même franchement hostile.
C’était
sur cette toile de fond déjà porteuse de difficultés inédites que devait de
surcroît s’effectuer une restructuration personnelle. A l’inverse de la
globalisation elle n’était en rien une surprise, ma mise à la retraite et la
mort de mes deux parents quasiment au même moment me projetant dans un nouveau
cadre m’obligeant à inventer de nouvelles façons de faire.
Sur
le plan formel ce petit agenda de 2005, cadeau des Editions Opales qui devaient
me publier bientôt un recueil de poèmes Carafe d’eau à volonté,
présentait une spécificité qui n’avait existé dans aucun des cas précédents. Si
la page de gauche avait bien la disposition traditionnelle réservant une case
datée à chaque journée, il n’en était pas de même de la page de droite qui
portait en haut la citation d’un auteur suivie d’un grand espace qui tenait
presque toute la page et dont les raies imprimées avaient manifestement pour but
d’encourager le détenteur de ce petit objet à inscrire à cet endroit là, sous sa houlette, son parapluie, sa verrière,
son magistère, sa protection, son exemple, ses propres réflexions.
L’importance
de la place qui leur était réservée interdisait de la considérer comme
uniquement symbolique. Il y avait de quoi faire. La transcription de la page de
droite a du coup dû s’intégrer au texte. Ce ne fut pas la plus mince des
surprises et d’autant plus qu’à la relecture des dites citations, elles ne
recouvraient en rien mes souvenirs. En conséquence les réflexions qu’elles
m’avaient inspirées à l’époque, dix ans auparavant ont dû être reconsidérées.
Au
point même qu’à l’opposé de l’ordre habituel de la lecture, c’est par la
citation de la page de droite que de fait s’est ouverte la mise au propre de ce
petit carnet à la couverture orange et au papier crème joliment assorti
comportant également à la fin un petit glossaire, une réflexion sur les lettres
de l’alphabet et sur certains mots, avec de ci de là des petits dessins
évoquant les gravures sur bois en noir et blanc de l’époque d’avant guerre.
*****
Ecrire pour soustraire
des instants de vie à l’érosion du temps. C’est cette citation de Charles Juliet
qui ouvre les pages de droite de l’agenda de 2005 cadeau des Editions Opales,
présent du présent qui comme toutes les offrandes si simples soient-elles m’ont
réjouie. Pourtant je ne partage pas ce point de vue, car non seulement je ne
crains pas le temps, mais il est au contraire mon bouclier et mon épée. Je comprends
néanmoins qu’il puisse être à la racine d’une œuvre. Sans doute celle de
Proust.
Demeure
la question de savoir - ou de comprendre - pourquoi je commence la mise au
propre de ce carnet par la première page de droite, qui sera selon mon choix
suivie par toutes les autres, alors que j’aurais pu tout au contraire
l’afficher comme une pause après le déroulé de la première semaine qui -
occupant la page de gauche - se réfère au contraire à mes propres activités
concernant cette année là, le thème du carnet :
les livres.
C’est
parce qu’il me faut d’abord me référer au monde, à la culture et à mes
prédécesseurs, car affligée dès le départ d’une absence de reconnaissance de ma
mère sans que cela ait pour autant abouti à son indifférence et à sa distance
tout au contraire, mais bien plutôt à l’autorisation qu’elle s’est donné à
elle-même de me considérer comme une matière dont elle avait la propriété
pleine et entière pour en faire tout ce qui pouvait lui passer par la tête, je
suis demeurée et encore au jour d’aujourd’hui toute une vie après, dans
l’absolue nécessité d’un cadre fortement organisé, obligation qui s’était dès
ma petite enfance fait sentir. Ainsi n’ai-je cessé d’inventer pour toute chose
le correctif de cette malformation originelle en produisant un instrument
optique ayant la double capacité et fonction de relier et de tenir à distance.
Un redresseur d’inceste en quelque sorte.
Lundi
27 Décembre : Je termine Je m’appelle Anna Livia de Marie Susini
(1979) et le Journal de Catherine Robbe-Grillet. Tout est dit !
Sauf que le premier est un chef d’œuvre et que le second me hérisse le poil
au-delà de toute mesure.
28
Décembre : Impossibilité de me mettre à la lecture d’Au cœur des
ténèbres de Joseph Conrad que j’avais pourtant insisté pour qu’on me prête.
Mais ce qu’on y raconte est bien en dessous de ce que je connais déjà du monde
de la colonisation, ses stéréotypes, ses préjugés et ses réalités.
Le
29 : Un livre de Cusset que je rends à qui me l’a prêté, il y a plus de
six mois !
30
Décembre : Face à la déroute, le rangement de la bibliothèque pour la
rendre la plus compacte possible puisque c’est désormais, mon obsession.
Le
31 : J’ai enfin réussi à trouver le temps d’aller chez le libraire de la
rue Poncelet - celui que j’aime - pour lui acheter un nouveau dictionnaire. Il
m’a fallu un an pour mettre ce projet à exécution ! A propos d’une
pile de livres bien en évidence parce qu’on en a parlé dans la presse et dont
j’achète l’exemplaire du dessus, je lui dis que je prendrais bien l’ensemble du
lot si je savais à qui le distribuer. Ce qui n’est bien sûr pas le cas eu égard
au caractère subversif de l’ouvrage considéré dont l’auteur est une iranienne
en révolte. Du coup nous engageons la conversation sur le fond. Il me propose
dans la même veine Ma brillante carrière paru en 1901, le récit d’une
australienne dont je n’ai bien sûr jamais entendue parler, Miles Franklin.
C’est pourtant l’une des ancêtres du féminisme.
Premier
Janvier 2005 : Je porte à la campagne Le secret de Philippe Grimbert édité chez Grasset l’année dernière, acheté et lu
la veille. Je l’avais fait parce qu’il m’avait été pathétiquement recommandé
par Florence, mais j’ai été déçue.
Dimanche
2 : Je range à Paris la petite dizaine de livres que je rapporte de la
campagne. Ces chassés-croisés de livres peuvent
apparaître le fruit de la confusion. Mais c’est loin d’être le cas. C’est au
contraire le commencement de la métamorphose dans laquelle geste le nouvel
ordre qui cherche à s’établir.
Mon rêve c’est un livre
qu’on lirait en oubliant que sa matière est le langage. On oublierait qu’on est
en train de lire. Cette
espérance de Paul Auster est toujours mon expérience car si je n’oublie pas que
je lis lorsque je lis, le livre me tombe des mains et je le laisse
effectivement choir. Ce qu’un anonyme m’avait verbalisé un jour en me disant On ouvre un livre et on s’envole !
Lundi
3 Janvier 2005 : Pour fuir ostensiblement les contacts et la menace, je
m’absorbe dans le livre de Régis Debray Journal d’un petit bourgeois.
Le
4 : Dans cette arrière salle de café où je déjeune parce que la cantine a
fermé en prévision de la transformation du réfectoire en self-service, je lis
Debray d’une main. Cette restructuration nous a été présentée comme une
modernisation à l’écoute de ce que souhaitent les élèves. Personne ne dit
qu’ils ne sont même plus capables de manger à plusieurs autour du même plat. On
découvre du coup à quel point les manières de table sont le produit d’un
aménagement de la vie collective.
Le
5 : Je vois que vous lisez, je vais
vous donnez un marque page ! Perfection du fond et de la forme dans la
bouche de l’agent de la RATP qui dans l’autobus est venu souhaiter la Bonne
Année aux voyageurs ! Je me demande tout de même si cette politique de
Relations Publiques forcenées va réussir à faire oublier qu’on attend de plus
en plus aux arrêts, ce qui ne garantit en rien contre les services décrétés
partiels sans préavis, lorsque le temps de travail du chauffeur est dépassé. On
peut alors être débarqué n’importe où, n’importe quand et sans un banc pour
s’asseoir …
Le
6 : Je termine La rupture de Gabriel Matzneff
et le range avec Debray dans la bibliothèque.
7
Janvier : Dans Le Monde des Livres de hier soir,
la reconnaissance de la grandeur de Modiano. Photographié d’ailleurs en tenue
d’intérieur - comme les Grands - c'est-à-dire en robe de chambre ! L’habit
de lumière des écrivains ou plutôt de l’anti-lumière.
Samedi
8 : La conviction qu’il va falloir – pour éviter le naufrage – me
débarrasser matériellement de certains livres. Qui trop embrasse mal étreint ! Nous ont transmis nos
prédécesseurs. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit car l’esprit fait de lui-même
le tri et hiérarchise les informations qu’il regroupe dans des catégories qui
lui sont propres et qu’au besoin il invente, mais d’une question d’encombrement
matériel.
Elle
est moins superficielle et superfétatoire qu’on pourrait le croire. Le ménage
prend du temps, beaucoup de temps et ne pas le faire génère un fourbi dans
lequel on risque de s’engloutir. Rappelons cette phrase de Valéry : Deux périls menacent le monde : l’ordre
et le désordre. Il faut avoir été confronté aux formes extrêmes et brutales
de l’un et de l’autre pour découvrir à quel point, c’est vrai ! Ils sont
l’un et l’autre potentiellement des moyens d’anéantir totalement l’individu.
Dimanche :
Mon plan de rangement des livres n’a pas abouti. Trop de fatigue et de
tristesse. Que faut-il en déduire ? Le démantèlement est-il d’ores et déjà
plus avancé que je l’avais perçu ? Ce n’est pas tant le démantèlement qui
est mortel que l’incapacité de s’y opposer lorsque ce qui est en voie de
l’être, est ce qui normalement doit relever de son action à soi.
Le corps est comparable
à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler, pour que se recomposent, à
travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables. Je crois que l’auteur
de cette phrase, Hans Bellmer n’a aucune connaissance des états crépusculaires
du corps dans lesquels la désarticulation n’est pas désirable. C’est le cas de
la chimiothérapie, de la folie et aussi de ce qui survient lorsqu’on est malgré
soi pris dans les fantasmes de l’autre.
En
tous cas lorsqu’on connait son œuvre plastique – notamment la poupée - il donne
envie de fuir. Ce qu’a en vain tenté Unica Zurn sa femme, verrouillée sans doute par son propre
inconscient. Errante de folie en asile, elle a fini par se suicider. Que
n’avait-elle avec elle cette citation d’Edmond Jabès qu’a pourtant largement
édité celui qui m’a offert l’agenda : Charniers,
je connais tous vos noms putréfiés dans les abysses du nom. J’ai connu un
psychanalyste qui l’avait, recopiée sur son bureau et moi-même y ait souvent eu
recours, comme l’ultime rempart contre la mort, ma marâtre.
Lundi :
Je reprends plus sérieusement les nouvelles d’Henrich
Böll déjà parcourues. J’en ai fait l’acquisition d’occasion sur la renommée de
l’auteur dont La grimace - un vrai chef d’œuvre - m’avait emballée. J’y
avais discerné comme dans L’espèce humaine de Robert Antelme, L’établi
de Robert Linhart, L’hôpital d’Alphonse Boudard, les traités de la véritable économie politique,
comme celui de mon livre Le corps défunt de la comédie pourtant tout
entier en proie à la littérature.
Mardi :
Nécessité de résister à l’idée de me débarrasser au Lycée dans lequel je gagne
ma vie de mes manuels scolaires sous prétexte qu’on nous supprime la Salle des
Professeurs. Notre directeur est un grand entrepreneur de travaux divers.
L’appartement de la concierge célibataire, ne faisant que soixante mètres
carrés, il a décidé – à sa décharge à la demande d’icelle – de lui attribuer
également notre local situé juste au-dessus. Pourquoi les élèves devraient ils
pâtir de la prise d’une décision discutable qui en fait ne les concerne en
rien ?
12
Janvier : Les nouvelles de Böll seraient certainement meilleures en
allemand, car il semble là que le style fasse écran. C’est sans doute une
question de traduction, sinon comment expliquer mon enthousiasme pour La
grimace ? Néanmoins je n’exclue pas l’hypothèse des fonds de tiroir
qui trouvent parfois des issues. Mon esprit sérieux m’oblige lors de la mise au
propre dix ans après, à retrouver sur Internet le titre exact de ce qui ne
devait pas s’appeler seulement Nouvelles.
Je
me souviens de l’image qu’il y avait sur la couverture et c’est cela qui me
permet de l’identifier, grâce à La Toile. Il s’agissait de Loin de la troupe
dans une collection de poche. Il est émouvant de découvrir comment un livre qui
pourtant a déçu peut néanmoins demeurer dans la mémoire. Du moins la
couverture, car pour le contenu, néant. Néanmoins publié en 1964 – toujours
selon La Toile – à une époque où l’auteur n’avait pas encore eu le Prix Nobel,
l’hypothèse fonds de tiroir ne tient
pas. Je ne l’observe en général que lorsqu’une célébrité vient de décéder et
qu’on racle dans ses papiers ce qui n’a pas encore été publié.
Jeudi :
La tentative de faire le point sur les livres d’Histoire de France qu’il y a
dans la bibliothèque pour en offrir un à un jeune homme méritant. Si j’ai
réussi à retrouver le nom du recueil de Böll – grâce il est vrai à La Toile –
impossible de me souvenir de quel jeune homme méritant il pouvait bien s’agir…
Pour ce genre de questions la cybernétique n’est d’aucun secours.
14 :
A l’hôpital, cette impossibilité de lire en attendant l’examen médical, je la
connais depuis maintenant vingt trois ans. Voilà un
fardeau que je voudrais bien parvenir à alléger, mais dans ce dramatique cursus
au long cours dans le labyrinthe sanitaire au fil des années, il n’a jamais été
possible de mobiliser d’autres ressources que la presse et surtout les magazines.
Même les vieux dépenaillés laissés en tas dans les coins apparaissant alors
comme d’authentiques trésors.
15
Janvier 2005 : En pleine nuit à la Télévision lors d’une mes très rares
insomnies, rediffusion d’une émission sur les camps de concentration et d’une
série de livres à leur sujet. Entre effroi et effarement, je constate que les
ai presque tous lus.
La médiocrité de notre
univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir
d’énonciation ? Sans
l’avoir jamais théorisé il y a longtemps que je pratique cette façon de faire
qu’évoque André Breton. Ainsi ai-je enchanté sinon le monde, au moins mon monde
à moi par la magie de ma propre parole, ce qui énerve parfois autrui, à juste
raison.
Lundi :
Au restaurant indien à côté du Lycée, une jeune femme déjeune en lisant son
livre posé à plat sur la table. Je ne la connais pas et ne vois pas non plus le
titre de l’ouvrage. De toute façon si j’avais été assez près pour le faire,
j’aurais détourné les yeux. Les lectures me paraissent aussi intimes que la
sexualité et devoir être protégées de la même façon.
Mardi :
Je fais à Alexandre le récit des difficultés récurrentes de mes publications.
Jusqu’à l’overdose ! Lorsqu’on en voit la quantité et la liste, on ne
l’imagine pas forcément. Et pourtant… Je constate que mes confrères et sœurs
sont peu prolixes sur ce sujet qui est pourtant d’intérêt public. La vie des
écrivains n’est pas ce qu’on croit… Etre habité d’une œuvre qui s’impose à vous
n’est pas une sinécure… Et si ce n’est pas le cas, est-on réellement un
écrivain ? Question de définition sans doute... J’ai entendu une fois
Alain Finkielkraut dire à la Radio qu’il ne fallait pas les confondre avec les
fabricants de papier imprimé.
Le
18 : Quoi cela ?
19
Janvier 2005 : Dans le délabrement du Lycée dans lequel j’exerce depuis
trente ans et la perspective de ma mise à la retraite l’été prochain, les
manuels scolaires que je range encore dans mon casier - puisque l’année n’est
pas terminée - commencent à m’apparaitre comme des loques dont il urge de se
débarrasser. Il est indispensable de ne pas céder à cette pulsion. Si ceux des
classes de l’enseignement supérieur m’appartiennent en propre et que j’en ai
donc la libre disposition, ce n’est pas le cas de ceux de ma classe de Première
qui ont été fournis par la Région. Enfin je veux dire par le contribuable. Je
crois me souvenir qu’il y avait autrefois la notion de Domaine Public. Qu’est elle devenue ?
Le
20 : Jour de grève tous azimuts. Vaut-il mieux
emporter un livre pour pallier les diverses attentes qui ne manqueront pas de
se produire ou plutôt s’en abstenir à cause du poids aggravant encore mes
difficultés physiques difficilement supportables. J’ai les muscles des jambes
si contracturés par l’angoisse que je peux à peine marcher et pratiquement plus
monter les escaliers.
Au
Monoprix de la rue de Courcelles, Vendredi comme je passe avec mon caddy devant
le rayon des livres pour me rendre au fin fond du sous-sol au service des livraisons,
ma main saisit au passage presque sans y faire attention Pedigree de
Modiano, On dirait qu’il va neiger de Pascal Sevran, Suite française
d’Irène Némirovsky et SAS : Otages en Irak
de Gérard de Villiers. Ce n’est pas tant que mes goûts soient éclectiques -
même si de fait ils le sont - que la nécessité de faire avec les moyens du
bord, c'est-à-dire d’acheter les livres que j’ai l’occasion de rencontrer. Faut il admettre que je n’ai pas le temps ni la force
d’aller spécialement dans une librairie, ou bien que celles-ci ont quasiment
disparu ou encore que les livres dont parlent les médias ne sont pas
nécessairement ceux que je recherche.
Samedi :
Il suffit de lire à la suite On dirait qu’il va neiger et Pedigree
pour comprendre ce qu’est un écrivain.
Dimanche :
Le SAS Otages en Irak que je me prépare à lire au Lycée demain. On a les
remèdes qu’on peut, et d’ailleurs je n’ai pas honte. Il est écrit quelque part Tu choisiras la vie ! Dans le Deutéronome je crois. Grâce à Internet
je peux vérifier, c’est bien le cas, avec même la précision : 30,19.
Marguerite
Duras : On ne peut pas lire dans
deux lumières à la fois, celle du jour et celle du livre. Je ne suis
décidemment pas d’accord avec cette citation imprimée sur la page de droite de
mon petit agenda, car pour moi ce déchirement ne se produit jamais tant le
livre m’aspire comme un gouffre qui me sait céder au vertige. Sinon je laisse
tomber.
Lundi :
Surveillant en classe une interrogation écrite, je lis SAS Otages en Irak.
Accoudée au bureau, la tête sur ma main, je m’endors plusieurs fois de suite,
mais me réveille aussitôt ! Miracle de la conscience professionnelle bien
soutenue par les lois de l’équilibre.
25
Janvier : Le livre aujourd’hui, c’est de nouveau son absence ou presque en
dépit d’une page de Gérard de Villiers, lue en mangeant. Aux grands maux, les
petits remèdes. Et du coup dans la mise au propre de l’agenda dix ans après le
livre en voie de disparition a néanmoins réapparu, même ou plutôt grâce à une
seule page.
Mercredi :
Réception du numéro des Moments Littéraires, une revue à laquelle je
suis abonnée et qui me plait beaucoup !
Le
27 : Dans le taxi qui me porte plutôt qu’il ne me mène au Lycée, la lecture du
poète Peter Bakowski découvert dans la revue Traversées. C’est un australien qui
donne envie d’apprendre l’anglais pour le lire dans sa langue originelle.
Vendredi :
Le bonheur du livre aujourd’hui, c’est l’annonce au séminaire de Paris VIII que
mon dessin de 1975 appelé La Cosmation va paraître dans celui qu’on nous donnera la
prochaine fois.
29
Janvier : Au sein du groupe, un livre d’art qu’on fait circuler de main en
main pour qu’on puisse le voir et
même le regarder.
Dimanche :
Je rapporte de la campagne à Paris Les Mémoires de Robert Hossein ainsi
que celles d’Elena Bonner.
Sur
la page de droite de l’agenda, une phrase d’Antonin Arthaud dont je me suis
toujours sentie si loin. Ceux qui valorisent la folie ne savent pas ce que
c’est. Ou ne veulent pas le savoir.
Je
ne sais pas quoi faire ce lundi de L’homme qui penche, un livre de
Thierry Metz. Il échappe à tous les sorts. Expérience curieuse qui me met mal à
l’aise.
Le
livre est en train de disparaître de la société. Il n’y a pourtant pour moi pas
d’autre futur que lui. Fussent en dernier recours ceux que j’ai encore à
écrire. Mon ancre de miséricorde.
Je
n’oublie pas d’emporter le livre que je lis en ce moment et le laisse sur place
pour que mon sac soit moins lourd. L’impression d’une tragédie.
Le
4 Février, je décide de garder tout de même l’Henrich
Böll à Paris.
J’ai
beau compter et recompter dans un sens et dans l’autre, dans la version finale
de ce texte, il me manque un jour. Une erreur d’inattention à coup sûr. Je ne
peux plus rechercher le manuscrit pour déterminer ce qu’il en est car je me
suis dépêchée dès la première mise au propre de le jeter ayant bien compris que
c’était là l’enjeu de cette opération. Il est également impossible d’inventer
n’importe quoi. Que faire ? aurait dit Lénine…
Accepter
ce dysfonctionnement signe qu’aucune gestion de bibliothèque ne peut être
rigoureuse et qu’il y a toujours des livres qui s’égarent ou restent là où ils
sont lorsque leur propriétaire déclare forfait. Ainsi me suis-je trouvée une ou
deux fois en position de devoir conserver des livres prêtés par des gens qui
étaient décédés. D’une autre façon certains des miens ont été volés, mais
finalement assez peu. Dans la balance métaphysique du dernier jugement l’un peut il compenser l’autre ? Non ! Plutôt admettre
que les livres sont des objets qui ont plus que tous les autres, leur vie propre.
Samedi :
Finalement ce sont les livres de cet auteur que je décide de regrouper dans la
boite à chaussures disponible. Ma façon à moi de ranger, et surtout de
préserver de la poussière, de la lumière et des divers accidents toujours
possibles.
Dimanche
à la campagne : Je rapporte à Paris un livre de Françoise d’Eaubonne.
Sur
la page de droite, la citation est si longue et si complexe qu’elle décourage.
De surcroît je ne m’y reconnais pas.
Lundi
7 Février : Leger mécontentement concernant le livre d’Irène Némirovsky qui ne tient pas ses promesses et que je suis
trop fatiguée pour continuer étant donné son poids à transporter …
8
Février : Les livres aujourd’hui, ils ne sont qu’à l’état virtuel et
encore avec beaucoup d’espérance. Ce sont surtout les noms de leurs éventuels
éditeurs Stock ou Galilée accompagnés de leurs adresses que j’écris sur les
enveloppes de mes manuscrits envoyés.
Mercredi
9 : Avec Jonathan, lecteur au Lycée, une vraie conversation sur la
littérature.
Jeudi
10 : En Salle des Professeurs au Lycée, je lis le Bottin. Une façon comme
une autre de rêver. De toute façon je le peux à partir de n’importe quoi et
heureusement. Voire même à partir de rien…
Vendredi
11 Février : J’entends à la radio cette citation de Françoise Giroud Modiano écrit avec une gomme ! Voilà
ce qu’on pourrait appeler la critique littéraire paradoxale. C’est assez bien
vu …
Le
12 : Le livre ce jour, c’est celui qui est en projet dans le contrat que
je reçois de Barcelone. Je le signe avec joie.
Dimanche :
Déception d’Au cœur des ténèbres que je suis bien décidée à rendre à qui
me l’a prêté sans l’avoir même vraiment lu. Le conserver encore pour n’en rien
faire serait sans-gêne. Voir de mauvais goût. Ce dont j’ai horreur
presqu’autant que de la méchanceté. D’ailleurs cela va souvent ensemble… Dans
un cas comme dans l’autre, l’inattention au monde, disons à sa nécessité de le
préserver.
Sur
la page de droite de l’agenda une citation un peu compliquée qui me fait penser
à celle de Nietzsche Qui croit à la grammaire
n’est pas complètement athée. Je me souviens d’un homme qui a beaucoup
compté dans ma vie et qui disons même me l’a sauvée. Lorsque j’étais jeune et
que je n’avais encore que quelques intuitions sur les chemins qui me menaient à
découvrir ma propre philosophie plutôt qu’à l’élaborer, il m’avait raconté que…
Lundi,
je commence la lecture de L’invitée de Simone de Beauvoir acheté(e) un
euro cinquante chez le bouquiniste du bas de la rue de Maubeuge en rentrant du
Lycée. Son côté désuet me ravit. La désuétude du roman. Mais elle s’applique
aussi bien au magasin… pour ne pas dire à la rue toute entière qui s’efforce de
conserver un air de quartier alors qu’elle est d’ores et déjà devenue un
comptoir commercial, tête de pont du nouvel ordre mondial globalisé.
Le
15 Février : Exceptionnellement - parce que je dois corriger un devoir le concernant - je rapporte à la maison le manuel d’Economie
Générale de la classe, que je laisse pourtant habituellement au Lycée.
Le
16 : J’offre ma dernière publication Ordre relativement chronologique
à Jonathan Jacobska, le lecteur de Madame Tran presque aveugle A la mise au propre de l’agenda dix
ans après, impossible de retrouver le visage de ce jeune homme. J’ai bien fait
de noter au moins son nom…
Jeudi :
Je tente de préserver les manuels scolaires qui sont dans mon casier, du chaos
ambiant. Cela a beau être la fin de ma carrière professionnelle, disons plutôt
de mon anti-carrière, je tiens à faire cours du mieux possible, avec les moyens
du bord. On a les élégances qu’on peut, mon père
appelait cela l’honneur.
Vendredi
18 Février : Le livre aujourd’hui, c’est la pause que je décide de faire
dans l’écriture des miens.
Le
19 : Situation ridicule. Je lis par devoir Suite française qui
m’ennuie. J’avais été séduite par la lecture de David Golder
dans la Collection du Livre
Moderne Illustré acheté pour rien sur un trottoir à cause justement des
illustrations. J’adore ces gravures sur bois de l’entre deux
guerres.
Dimanche :
Mes démêlés avec mon imprimante, comme le maçon avec les fondations. La
Révolution Cybernétique en cours est en train de bouleverser l’écriture et la
lecture. Ce n’est certainement pas un hasard si j’ai la même année 2005 tenu en
parallèle un autre agenda sur cet autre sujet-là. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment
un autre sujet. Seulement une des modalités de la clarification pour éviter
toute confusion.
Mon moi comme
d’ailleurs le moi de n’importe quel écrivain, n’existe que dans les manuscrits dit Vassili Rozanov sur
la page de droite. J’avais répondu à l’époque que c’était faux et désagréable,
car si être édité est sans importance morale et métaphysique, il est quand même
vrai que l’être, stimule la création.
Par
ailleurs la conservation des manuscrits n’est pas sans danger. Elle peut être
le produit de l’exhibitionnisme, pire de la mise en scène voire du goût de la
posture. Elle oblige à confondre l’écume des choses, en l’espèce les mouvements
de la pensée, chaotiques, en proie aux pulsions approximatives quand ce n’est
pas aux malentendus et les réflexions sur les chemins de l’édification, si ce
n’est pas encore sur celui de l’achèvement.
Par
rapport à la mise au propre d’une œuvre définitivement achevée, il y a le même
danger que de vouloir percer à jour le mystère de la gestation. C’est en effet
utile pour en détecter les malformations mais cela ne veut pas nécessairement
dire que tout un chacun doit être admis à tout savoir des amours et de la vie
de tous. Or c’est un peu la pente qui s’esquisse.
Plutôt
que de lire les écrits que l’auteur à mis en forme,
la tendance va désormais à se faire une gloire de connaitre les anecdotes
croustillantes et spectaculaires de sa vie, et d’autant mieux qu’on peut
toujours les utiliser pour rabaisser l’artiste plutôt que de se laisser
emporter avec lui et par lui dans ce qui peut – faute de mieux – tenir lieu de
paradis.
Lundi
21 Février : A la Coupole où nous prenons le café avec Jacqueline, les
trois livres qu’elle m’a prêtés. Considérant la beauté des lieux, je regrette
que Maman n’ait pas été plus formelle lorsqu’elle m’avait raconté que son père ornementaliste – autant dire plâtrier d’art et d’essai –
avait travaillé à sa décoration. Elle ne savait plus exactement si c’était là
ou en face à la Rotonde. Pour l’Histoire de l’Art et la généalogie familiale,
cela ne change pas grand-chose, mais lorsqu’on est dans ces endroits là et
qu’on considère l’environnement en s’abandonnant peu à peu à sa contemplation,
ce n’est pas tout à fait la même chose.
Je
peux bien sûr me consoler au souvenir d’avoir pendant des années conservée dans
ma propre salle de bains une grande glace dont il avait – et là c’était sûr -
fabriqué de ses mains la moulure, mais elle avait fini par être hélas
maladroitement cassée. Finalement c’était encore sa photographie en tenue de
14-18 qui tenait le mieux la route et dans mon esprit, le souvenir que comme
j’étais petite et délaissée, il s’était intéressé à moi suffisamment pour que
je trouve dans cette rencontre le désir de vivre. Il ne me restait plus qu’à le
transformer en volonté.
Mardi :
Parmi les trois livres en dépôt provisoire, le premier que je lis ne
m’enthousiasme guère… Dans l’expression dépôt provisoire pléonasme qui a surgi
au moment de la mise au propre une décennie après, faut-il considérer que le
terme important est le dépôt et donc qu’on en a une jouissance qui doit être
précautionneuse certes, mais enfin qui est bien réelle ou au contraire que
l’adjectif provisoire permet de ne pas se considérer encombré à vie par quelque
chose- car un livre est aussi ou d’abord un objet – qui ne convient pas.
Mercredi
au restaurant : Je trouve de l’agrément au Désobéir de Martin Melkonian contrairement au livre d’hier. Ils me sont
arrivés pourtant tous les deux par la même voie et même avec un troisième qu’il
reste encore à explorer. Pour les livres qu’on n’a pas souhaités et qui nous
parviennent ainsi de façon inattendue, explorer est bien le mot. En tous cas
c’est dans cet esprit là que je les aborde.
Jeudi :
Avec Florence au téléphone, nous faisons le point de nos lectures.
Vendredi
25 Février : Retour exténuée après une visite aux Parents à Fontenay en
Parisis. Sieste. Sommeil et lecture de L’invitée, délicieusement obsolète .
26
Février : Rangement des livres dans mes boîtes de plus en plus
rationnelles, formant ainsi pour les sauver, une arche multiforme. Le rangement
de la bibliothèque est-il la métaphore centrale de ce texte ? Quelles
relations y a-t-il entre le rangement et
l’évacuation ? Le classement des préoccupations lorsque le temps se couvre
et que les forces diminuent nous obligeant d’une façon ou d’une autre à
renoncer à un certain nombre de choses qui jusque là
avaient tenues à cœur. Nous forçant finalement au sacrifice. Je ne perds pas de
vue qu’en hébreu le terme renvoie à des connotations de rapprochement qui m’ont
toujours troublée en raison de la difficulté de compréhension de cette liaison
qui recèle pourtant une part de vérité.
Dimanche :
La parole en action, c’est le théâtre. Là, la pièce Doux oiseau de jeunesse
dont le texte est inséré, à l’intérieur du programme.
Cela rappelle le TNP de Jean Vilar. Tennessee Williams est loin de me laisser
indifférente. Au-delà de la puissance de Marlon Brando au service d’Un tramway nommé désir évoquant une
époque dans laquelle La Chose – contrainte de partout - n’était pas si facile
et mobilisait tous les soins, je garde à cet auteur une reconnaissance distante
pour la mise qu’il m’a sauvée lors d’un voyage en bateau qui me ramenait
d’Israël vers la France, l’été de mes dix neuf ans.
Je
n’avais plus rien à lire dans ma propre langue, mais la boutique du bord
m’avait permis d’acquérir un texte de ce dramaturge qui était peut être bien La
nuit de l’iguane… Mais en anglais ! Langue que j’étais loin de
maitriser. J’ai dû faire un effort absolument inouï et j’en garde la blessure
lumineuse de ceux qui ont dû transgresser pour passer…
Sortant
là en 2005 de ce théâtre du Centre ville pour lequel
j’avais - évènement rarissime - trouvé encore le moyen de louer des places
d’avance, je suis déçue. La pièce a horriblement vieilli, du coup le jeu est en
porte à faux et la mise en scène n’a pas permis de relever le défi. De plus
comme à la sortie de la représentation, je m’approche pour faire compliment à
un acteur qui a tout de même par sa vertu professionnelle, réussi à tirer son
épingle du jeu, j’ai la désagréable surprise de me faire envoyer promener.
Dois-je
en conclure que cela ne se fait plus ? Ou que les femmes âgées doivent
s’arranger pour passer inaperçues et ne prendre aucune initiative ? Ou
plus tragiquement encore si c’est possible que l’atmosphère de ratage gagne de
proche en proche toutes les relations de la ville, comme quelque chose qui se
défait irrémédiablement ?
Je
subodore que cette chose n’est pas sans rapport avec tous ces mauvais
traitements infligés aux livres. Comme pour les femmes âgées dont on ne
supporte plus en public la présence, le temps en étant dans l’un et l’autre cas
la dimension principale qu’on veut néanmoins contre toute raison, éliminer.
L’époque est persuadée de vivre un éternel présent sans avenir ni passé.
On
comprend alors la haine qu’elle peut éprouver envers le livre et qu’elle
cherche à propager en l’appelant désormais bouquin
puisqu’il réussit lui le prodige de témoigner tout ensemble du passé et de
l’avenir, tout en étant en même temps – et l’expression prend là tous son sens
- capable face à n’importe quel potentiel lecteur se présentant, d’inventer
avec lui non un éternel, mais un perpétuel présent.
Par
voie de conséquence mon action - le mot poème conviendrait alors là assez bien
en le rétablissant dans son sens grec originel – ma tentative d’en sauvegarder
un certain nombre de ceux qui m’apparaissent les plus importants, comme ma
volonté de fournir à chacun des autres - en tant qu’objet - le meilleur destin
possible en leur évitant la déshérence, relève-t-elle purement et simplement
d’un comportement moral ? On peut soutenir ce point de vue !
Impossible pourtant d’aller jusqu’à dire que l’Histoire tranchera. J’ai appris
à l’Université qu’elle était écrite par les vainqueurs. Il est peu probable que
j’en sois …
En
mettant au propre cet agenda, je découvre avec stupéfaction une dizaine
d’années après que la plupart des citations d’écrivains qui sont sur la page de
droite ne me conviennent pas. Cette fois j’ai franchement répondu Faux ! La mécanique du monde m’est limpide.
J’ai bien dit la mécanique et non les gens. Se tient là tout ensemble ma
faiblesse et ma force.
Lundi,
je m’inquiète de ne pas retrouver l’un de mes livres chéris. Je voulais pour le
préserver, le cacher plus profondément encore… Il appert au bout d’un moment
que la cachette est déjà bien suffisante. Je suis rassurée. Je sais qu’il n’est
pas perdu. Je ne perds jamais rien. Pas même la boule contrairement à ce qu’on
pourrait croire, ni non plus mon temps comme mon auguste prédécesseur dont j’ai
la photographie sur mon réfrigérateur. C’est lui que je contemple le matin au
petit déjeuner, pour me mettre en route, ou pas !
Premier
Mars. Dans une librairie militante, l’achat des quatre derniers livres d’une ancienne
comparse. Il vaudrait mieux parler de brochures.
Mardi :
Il y a deux sexes d’Antoinette Fouque,
feuilleté au lit pour en humer le contenu et en constater la profondeur. Je ne
regrette pas de l’avoir acheté ! Je n’apprends rien que sur le fond je ne sache
déjà. Mais dans ces temps de confusion et de propagande furieuse pour une
androgynie totalitaire, il n’est pas mal séant de voir rappeler - parce
qu’elles sont là imprimées noir sur blanc - quelques évidences biologiques.
Même si le transhumanisme est la nouvelle doctrine à
la mode. Et d’ailleurs, il l’est.
Cette
amie canadienne à qui je parle des Territoires perdus de la République, ouvrage
collectif rédigé sous la houlette d’Emmanuel Brenner et qui a fait du bruit
dans le Landernau de la bienpensance,
cette locution étant pertinente pour nommer le petit monde qui fait l’opinion
dans cette époque de mensonge et de lâcheté. Elle me dit l’avoir déjà lu.
Impossible de savoir si c’est vrai, elle ment comme elle respire. Mais de toute
façon cela n’a aucune importance. Le 3 Mars.
Vendredi
4 : Lecture de L’invitée pendant une sieste entrecoupée de sommeil.
Je n’ai jamais été une fanatique de ces moments de repos qui entrecoupent les journées.
Ils sont trop liés pour moi à la maladie et j’ai trop fait d’efforts toute ma
vie pour essayer - sans y parvenir tout à fait - de vivre normalement.
5
Mars : Sur Internet, je suis l’évolution du parcours des Territoires
perdus de la République ce livre qui en 2002 a porté à la connaissance du
public, l’état réel de l’institution scolaire dans les nombreux lieux dans
lesquels il n’était plus possible d’enseigner le corpus républicain. Ce qui a
mis brutalement à l’heure les pendules des mouvements de l’Histoire n’a pas
fini de faire couler de l’encre, dans un sens et dans l’autre. On n’entrevoit
en filigrane des oppositions avérées à ce jour, les nouveaux clivages qui se
sont constitués ces dernières années pour ne pas dire la matrice des guerres civiles
de demain. Ce livre a eu dans sa vertu de pavé dans la mare, l’efficacité de
faire comprendre à quoi était brutalement confrontée – en dépit de ses diverses
dénégations – ce qu’autrefois on aurait appelé la patrie…
Dimanche :
J’entends à la Radio, Alain Finkielkraut qui parlant de son dernier livre fait
une autocritique en acceptant de retirer le mot pogrome antirépublicain
qu’il a employé dans une interview à propos d’un article le concernant. Cela
tout en en annonçant tout de même la venue. Je n’en reviens pas ! Et
pourtant je me souviens avoir moi-même appris le mot aux élèves, soulagée de
retour chez moi de découvrir dans le dictionnaire que j’avais questionné à ce
sujet, qu’il pouvait s’écrire avec ou sans « e » car je m’étais brutalement
prise de court, découverte – et heureusement – ignorante de son orthographe…
Sur
la page de droite de l’agenda 2005 offert par les Editions Opales, Julien Gracq
nous parle de l’extinction de certains livres, comme de celle de la lumière des
étoiles. Je réponds que c’est sans compter les brocantes dans lesquelles, j’ai
tant de fois eu le bonheur de les voir incongrus et inconnus, ressurgir. C’est
ce qui fait la force de cet objet fait pour rouler pour son compte même en
dehors des soins de son auteur et de son éditeur.
Lundi
7 Mars : Le bonheur de continuer à lire L’invitée tout en mangeant
au restaurant.
Mardi :
La stupéfaction de découvrir Simone de Beauvoir meilleure romancière que
j’avais crû. Comme quoi la notoriété ne joue pas
forcément en faveur des écrivains, surtout lorsqu’une partie de la société leur
a déjà taillé un costume en sapin et l’autre les a élevés au rang de divinité.
9
Mars : L’obsession récurrente d’avoir vu dans un Club littéraire, mes
livres exposés avec dessus du café renversé.
10
Mars : Au Canada, l’éditeur de mes nouvelles veut alléger son stock. Il me
demande si je veux en racheter une partie. Le problème pour moi comme pour lui,
c’est la place...
Vendredi :
Ayant terminé L’invitée, je n’ai plus rien à lire. J’essaie Topographie
idéale pour une agression caractérisée de Rachid Boudjedra
mais je ne suis pas très convaincue. J’avais pourtant beaucoup aimé son
précédent livre La répudiation qui défendait courageusement la cause des
femmes. Ce qui est somme toute assez rare et notamment par le biais de la
littérature, un art qui n’est déjà pas si facile…
Samedi :
Un paquet de bons livres que je rapporte de la campagne pour les offrir à un
jeune collègue qui aime lire.
Dimanche
13 Mars : A la brocante de Fontenay-en-Parisis, petite commune dans laquelle
je vais chaque semaine visiter mes parents dans une assez belle maison de
retraite construite dans le parc d’un château, j’ai acheté Brumes de
Francis Carco. Pour m’encourager à la transaction, le vendeur m’a dit : C’est avec Michèle Morgan ! Cet argument
m’a ravie mais je n’en avais pas besoin.
Le
nom de l’auteur et la vénération absolue que j’ai pour les livres de poche à la
couverture illustrée – ceux du début qui enchantant mon adolescence m’ont sauvé
la vie auraient largement suffi à emporter ma décision. Elle était d’ailleurs
déjà prise lorsque surgit ce commentaire de cinéphile. Sur la lancée j’ai de
surcroit acheté Sartori de Faulkner envers qui j’ai le même tropisme car
je lui reconnais la même créance, ainsi qu’un essai d’Henri Alleg
sur l’Asie Centrale Communiste. J’en ai eu au total pour quatre euros
cinquante.
A
la vérification sur La Toile une décennie après, concernant dans cette affaire
le rôle de Michèle Morgan, pour ne pas propager des erreurs qu’on aurait pu
éviter il appert - comme on dit dans la langue juridique - que c’est plutôt
dans Quai des brumes que Jean Gabin a
dit à l’actrice son fameux T’as de beaux
yeux tu sais… tiré lui-même non d’un livre de
Carco mais d’un de ceux de Mac-Orlan.
Ce
n’est pas grave, moi-même je les confonds souvent. Mon père qui ne se
reconnaissait pourtant pas comme un amateur de littérature puisqu’il accusait
même Dostoïevski de m’avoir brouillé la tête, me les a d’une façon ou d’une
autre transmis tous les deux. Du coup, c’est ensemble qu’ils brillent dans mon
panthéon personnel dans lequel s’entassent nombre de mes prédécesseurs.
Sur
la page de droite, Lautréamont égal à lui-même. Qui n’en a pas lu au moins une
page ne sait pas ce qu’est la littérature française. Heureusement dans son chef
d’œuvre Soigne-ta-droite, Jean Luc
Godard lui a rendu justice en se servant de ses textes comme d’une bande - son à l’égal de la musique des Rita Mitsouko.
Je n’en ai retenu qu’une injonction Et
sois cet océan… En exagérant juste un peu je pourrais dire qu’elle ne me
quitte pas. Au premier abord, en période d’effondrement de la société, on
pourrait penser que ce n’est pas nécessairement le meilleur conseil à suivre,
et pourtant… Liquidation pour liquidation…
Lundi :
Lecture passionnée et passionnante du fameux Brumes…
15
Mars : Je termine le livre de Francis Carco, furieuse qu’il ne soit pas
plus long ! C’est un signe qui ne trompe pas… C’est la lecture au ras du
trottoir, celle des colporteurs dans leur grande malle noire, celle qui permet
de faire face à l’ennui et de conchier finalement toutes les réalités, sans
pour autant s’en débarrasser puisque c’est impossible…
Le
16 : Je donne le paquet de livre préparé à Jonathan, il est content et moi
aussi.
Jeudi
17 Mars : Un peu de tristesse d’avoir décidé de ne pas aller cette année
au Salon du Livre. J’avais tout de même réussi l’opération à la Mi-Nonantes comme je commençais pourtant à me paralyser. Je
m’étais pour cette expédition - aussi ahurissant que
cela me paraisse maintenant - appuyée sur des béquilles. Mais là je suis
vraiment trop fatiguée.
Je
n’ai depuis que partiellement retrouvé l’art de la marche en Russie au bord de
la Volga ou à Annecy le long du lac et finis ma carrière professionnelle sur
les genoux. Il est vrai que je ne me suis et n’ai pas été, ménagée. On ne
peut pas être et avoir
été nous ont transmis nos
prédécesseurs. C’est déjà bien d’avoir été ! Oserais-je ajouter Voilà une bonne chose de faite !
18
Mars : Un constat satisfait. Ma politique consistant à donner des livres
porte ses fruits. J’en ai en effet de moins en moins. Si c’était le but j’y
suis ! C’est grâce à des succès de ce genre que le taux de réalisation de
mes entreprises est aux alentours de cinquante pour cent. D’aucuns disent que
je me contente de peu, ils n’ont pas tort… Qu’y puis-je ? Née morte il
faut constater que j’ai depuis bien récupérée !
Samedi :
De nouveau un paquet de livres rapportés de la campagne, seul moyen d’éviter la
déshérence qui menace cet établissement qu’on ne peut plus maintenir. Du moins
que je ne peux plus soutenir dans la perspective et donc le cadre pour lequel
de mon point de vue, nous en avions fait l’acquisition.
Dimanche
20 Mars : Du coup connaissant un autrui encore en état d’aller au Salon du
Livre et bien décidé à s’y rendre, la décision de lui passer commande
d’acquérir pour mon compte à moi, un livre que je souhaite vraiment me
procurer. Lors de la mise au propre de cet agenda, impossible de retrouver le
titre de cet ouvrage qui si cela se trouve ne valait pas qu’on se donne tant de
mal. Cent fois déjà j’ai fait l’expérience qu’en matière de livres, les vrais
trésors n’étaient pas nécessairement ceux qu’on avait espérés. Ce côté pochette
surprise est finalement tout à l’honneur des objets en question. La liberté de
chacun en est ainsi préservée. Pour certains, c’est sans doute une des causes
de la haine qu’ils en éprouvent…
Blanchot
sur la page de droite prophétisant la phase terminale de la deshumanisation
par la perte du visage et du langage. Je me demande si ce n’est pas ce qui est
en train d’arriver. La chirurgie qui se croit esthétique a quasiment plastifié
les faces interdisant par cette artificielle paralysie tout signal expressif,
quant au langage il ne fonctionne plus non plus à force de diverses
malversations et confusions.
Lundi :
Au Floréal – la grande brasserie à côté du Lycée, Place Frantz Liszt - je donne
Les Territoires Perdus de la République à la Monique que je rencontre
une fois l’an. Celle de la Côte Pacifique. Il ne s’en suit aucun débat. Notre
amitié au long cours à toutes sortes d’autres détours. Un constant
émerveillement et un grand remerciement. Elle m’a une fois demandé de lui
répéter que l’Amérique m’avait sauvé la vie. J’ai répété.
22
Mars : Dans le livre d’Henri Alleg concernant
l’Asie Centrale, j’apprends qu’Avicenne était de Boukhara et avait vingt ans
lors de l’An Mille. Le fait est que je ne m’étais jamais posé la question.
Connaître son nom était déjà pour moi une sorte de bout du monde.
Mercredi :
Lecture de De la colonie en Algérie de Tocqueville que du coup je découvre
plus largement puisque je le connais déjà. Son anticonformisme et sa liberté de
pensée font par moment merveille. Il gagne à être sérieusement lu. Ce n’est pas
forcément le cas de tous ceux qui ont pignon sur la rue intellectuelle.
24
Mars : Cette collègue qui vient d’arriver au Lycée et me parait un peu
déjantée. Internet me permet de découvrir qu’elle a déjà publié deux livres.
Cela arrive à des tas de gens mais elle a l’air d’avoir du mal à s’en remettre.
Ou plutôt de se trouver en raison de ses publications, déclassée dans un pareil
établissement. J’ai bien fait de tenir fermement mes positions et de refuser de
déserter le poste sur lequel la République m’avait d’abord nommée avant qu’il
devienne un fortin qu’il fallait défendre au péril même de sa vie. Et ceux qui
avec moi l’ont vécu savent bien qu’il ne s’agit pas là d’une métaphore.
Vendredi :
Dans les boites d’un bouquiniste de la rue des Ecoles, je découvre mon Ordre
relativement chronologique. Je ne sais pas quelles réflexions baroques cela
pourrait m’inspirer car déjà, en ce qui concerne les affects par cette
publication déclenchés, c’est loin d’être clair. Concernant ce livre lui-même
étrange – finalement comme chacun des miens à chaque fois une pièce unique -
j’ai reçu une lettre d’un professeur de New-York qui l’avait fait étudier à sa
classe et qui me disait que cela avait marché du tonnerre. Cet unique écho
remplace à lui seul tout le reste virtuel et potentiel.
26
Mars : Lecture des Cahiers Bleus d’Annie Cohen, acheté hier chez le
bouquiniste en question.
Dimanche
27 Mars : Cette fois, c’est la ferme décision d’en finir avec les livres
inutiles. A la guerre comme à la guerre. Puisque l’utilité devient la valeur
dominante de cette société qui démolit consciencieusement tout ce qui tient encore
debout, tirons en le meilleur parti possible…
Comme les masques sont
le signe qu’il y a des visages, les mots sont le signe qu’il y a des choses. Et
ces choses sont des signes de l’incompréhensible nous dit Marcel Scwob. De mon point de vue cela est faux. Tout cela m’est
limpide. Je lis à livre ouvert dans le livre du monde… Rançon rationnelle de
n’avoir jamais pu – faute de lien avec la mère – entrer dans l’Humanité !
Lundi :
Nouveau rangement d’un paquet de livres rapportés de la campagne. Les petits
ruisseaux font les grandes rivières, cette bibliothèque annexe est en voie de
liquidation. Non seulement un signe des temps, mais plus crûment encore de la
nécessité de hiérarchiser les fronts de lutte.
29
Mars : C’était pour la beauté plastique du livre de Patrick Combes que
j’avais acheté deux Euros son Au bord du fleuve.
A la lecture, j’avais ensuite été séduite par son étrangeté !
Mercredi :
Des nouvelles de Maupassant qui – je persiste depuis longtemps à le dire - n’a
pas la place qu’il mérite. L’épave, Mademoiselle Perle, L’ermite.
Peut-être est il trop révolutionnaire pour entrer
dans le Corpus. Tant pis ! Et finalement tant mieux.
31
Mars : Je prépare les livres que je distribuerai Dimanche à la famille.
Vendredi
Premier Avril. Rangés dans la même boite, Maupassant et Modiano. Un effet de
l’ordre alphabétique mais attention parmi ceux qui sont par priorité protégés.
Les véritables écrivains. Le fait est que sur mes rayonnages, ils ne sont pas
tous logés à la même enseigne. Et que dire du Saint des Saints au fond du
cagibi cet entassement de grands cartons en carton constituant pour ma
progéniture un trésor à conserver éternellement comme il était écrit du temps de l’URSS sur les
emballages des manuscrits confisqués par le KGB. Qui peut croire que j’ai dû me
séparer d’une partie de mes vêtements pour faire place à deux containers pleins
de récits de voyages ? Au motif que ces intrépides navigateurs avaient été
mes maîtres en anthropologie à une époque où déjà la pensée binaire me
paraissait louche, sans que j’ai encore les moyens de
rationnellement, la contester.
2
Avril : Je continue à vider la bibliothèque rurale. Une obsession de
fourmi. C’est bien des insectes qu’enfant délaissée, j’ai appris la grammaire
du monde.
Dimanche :
Le sac de livres que je vais distribuer à la parentèle. Que je demeure le plus
longtemps possible la provende de ma progéniture !...
Je
lis sur la page de droite cette citation de Michel Leiris : Ecrire, c’est être présent : être là et
vivre pleinement cet instant qui fait exister le mouvement de ma plume ! Ce
n’est que partiellement vrai, car il convient souvent de s’abstraire du présent
si on veut œuvrer au long cours et de façon indépendante. Ce n’est certainement
pas donné à tout le monde. Dans ce domaine comme dans d’autres, beaucoup
d’appelés et peu d’élus. Le mouvement de la vie, la pulsion germinative et formante n’est pas avare de gaspillage. On a parfois
l’impression que c’est même son premier principe. L’essai est à la base de
toute chose. Il comporte en lui-même son inaboutissement.
Lundi
au restaurant indien, je continue les excellentes nouvelles de Maupassant. Mademoiselle
Parisse, Les chats, Rosalie Prudent.
Mardi :
Avec passion la suite. Cette fois Le père Aimable.
Mercredi :
Je continue avec La Petite Roque. J’ai envie d’acheter le reste des
œuvres de Maupassant dans cette édition illustrée de 1903 sur laquelle je suis
tombée comme d’habitude par hasard, au petit bonheur de mes chaotiques
cheminements dans la ville. En la ville.
7
Avril : Sans aucun intérêt, un recueil de poèmes sorti de je ne sais où.
Du coup je le jette dans la corbeille de la salle 11 du Lycée. Cela peut
paraître un sacrilège, mais sa source est dans l’impression en forme de livre
de ce qui se prend à tort pour de la poésie. Un abus, un leurre, une
escroquerie. Trois formes de violence juridique, psychique et sociale
auxquelles répond la mienne dans un œil
pour œil, dent pour dent, dépourvu de culpabilité. Les représailles ne doivent pas être confondues avec la
vengeance. Elles font partie de la guerre, ni plus ni moins. On dira que
j’exagère. J’entends cela depuis que je suis née et si je ne n’avais pas
exagéré, je serais morte. Que cela irrite ceux qui m’ont depuis longtemps rayée
de la carte, comment s’en étonner ?
Le
8 : A mon séminaire à Paris VIII, je recommande la lecture de La loi
de Thomas Mann, en quelques pages un véritable chef d’œuvre. C’est de mon point
de vue ce qu’il a écrit de meilleur. Je n’ai pas été tellement convaincue par
les Buddenbrook lu pendant le voyage de
2002 dans les Pays Baltes, et franchement déçue par La Montagne Magique.
Je me fais ensuite envoyer sur les roses par un conférencier un peu inquiétant.
J’ai l’intuition que c’est l’invocation de La loi qui ne lui a pas plu,
mais comment le prouver ? Impossible ! Seule l’expérience des
nihilistes permet de détecter les signes avant-coureurs des conflits et de
savoir qu’il ne faut pas sous estimer les dégâts
qu’ils peuvent faire.
Samedi :
Le Fort de France de Pierre Benoît parce que Maman aimait bien cet
auteur là et aussi pour la mémoire de mon séjour de deux années à la
Martinique. Auteur facile à lire avec ce qu’il fallait d’exotisme à une époque
où les voyages étaient encore difficiles, cet auteur est resté dans ma mémoire
avec mon nain jaune, ma dinette et mes poupées. Après les livres du Père Castor
qui avaient illuminé mon enfance, Pierre Benoît fut la passerelle d’entrée dans
la littérature des adultes. Juste avant Dostoïevski et Camus. L’envers et
l’endroit du monde…
Dimanche
au Courte Paille de Goussainville, tout en déjeunant, lecture du même dont
Maman m’avait fait remarquer que toutes ses héroïnes avaient des noms qui
commençaient par des A. Si mon prénom d’usage civil commence lui aussi par cette
lettre qui n’est surement pas par hasard l’origine de l’alphabet, est-ce parce
qu’elle me rêvait en héroïne de ce romancier à succès ? Débordée par la
brutalité dont j’ai usé pour parvenir à mener à bien mon émancipation d’où
vient qu’elle a alors perdu de vue que c’était elle qui m’avait mis le pied à
l’étrier ?
Michel
Leiris : Exister par et dans les
mots, faute d’existence réelle. Encore une fois je ne suis pas d’accord
avec la page de droite de l’agenda. Mais peut être
était ce vrai pour lui et sans doute aussi pour d’autres. En tous cas pas pour
moi. Il s’agit au contraire de délester par la force des mots, du style et de
la grammaire, une vie réelle saturée.
Lundi :
Fort de France de Pierre Benoît ne me plait qu’à moitié.
12
Avril : Je me demande vraiment s’il faut acheter le livre de Frédéric
Mitterrand dont parlent les médias, au risque d’être une fois de plus victime
de la critique. Cela fait déjà plusieurs fois qu’en suivant ses conseils, j’ai
été l’objet d’une odieuse manipulation.
Le
13 : L’émotion de découvrir en Pierre Benoît, ce qui plaisait tant à
Maman. Le commencement presque d’une réconciliation avec elle. Grâce à la
lecture ! Je n’ai heureusement pas tout à fait oublié comment elle nous
lisait le soir à ma sœur et à moi dans Le livre de la jungle de Kipling
l’histoire de la petite mangouste Rikitikitavi qui
affrontait courageusement les serpents.
14
Avril : Rangement partiel de la bibliothèque. Balzac avec Vailland. Deux
regards sur la société. Je réalise là le vœu d’une petite annonce lue autrefois
dans le métro lorsqu’on envisageait encore des réformes dans la société : Borgne de l’œil droit cherche borgne de
l’œil gauche pour confrontation des points de vue. Je réalise ce challenge
en logeant ces deux-là dans le même contenant. Ils ont tout le temps devant eux
pour tenter la synthèse. En tous cas dans ma tête, elle est faite depuis
longtemps d’avoir observé enfant les insectes et les batraciens.
Je
continue le 15, la densification de ma bibliothèque. Ne garder que les livres
pour lesquels j’éprouve de l’amour et même pour
qui comme je le relis dans la version
de l’agenda écrit n’importe comment à la main, à l’encre ou au stylobille, les
dates séparées par un trait de couleur, pour mettre un peu d’ordre dans ce
chaos calligraphique survenu naturellement au jour le jour.
Le
16 : L’éblouissement, finalement de ce modeste chef d’œuvre Fort de
France. La perfection de la description de la rivière de l’Alma. J’y suis
d’autant plus sensible que lors de mon séjour, c’était un des endroits qui m’avait
bouleversée.
Dimanche :
Le tambour du bief de Bernard Clavel. Je le couvre pour protéger sa
qualité bibliographique et peut être pas seulement. Dans cette époque obscène
qui se vante d’être sans tabou – comme si c’était le comble de l’intelligence et
de la distinction - il y a encore des choses qui se doivent d’être protégées…
Du moins pour ceux et celles qui croient à l’existence et la nécessité d’une
transcendance. D’une ou de la ? C’est
toute la question ! Comme aurait dit un certain comparse de l’Ancien
Temps !
Sur
la page de droite j’abandonnerais bien une citation de Breton pour une de Jabès
si je ne l’avais pas déjà utilisée. Quant au réputé fondateur du surréalisme je
n’ai lu de lui que Martinique charmeuse de serpents ce qui est tout de
même un peu court pour se faire une opinion. Surtout si on prend en compte le
contexte dans lequel cet ouvrage a surgi. A ce qu’en dit La Toile et dont
j’étais loin moi-même de me douter.
Lundi
18 Avril : Au milieu d’un chaos croissant qui vire à la bagarre, je
censure le mot baston que j’ai lu dans le manuscrit et me rabats si je peux
dire, sur la lecture du Tambour du bief.
Le
19 : A la lumière de la désinvolture d’aujourd’hui concernant la prétendue
euthanasie dont toute référence à la mort semble même avoir disparu, Le
tambour du bief m’apparait comme un livre sacré !
Mercredi
20 : Ce Théâtre d’Alfred de Vigny qu’une collègue me montre, au
motif que l’auteur l’a dédicacé à l’un de ses ancêtres. C’est un moyen pour
elle de protester contre ce qu’elle croit sa déqualification personnelle, alors
qu’il s’agit seulement – si j’ose dire – d’un effondrement historique de ce
qu’on aurait autrefois appelé La République.
21
Avril : De nouveau dans la Salle des Professeurs, les livres de la firme Citadelles et Mazenod en quête de
clients. J’en ai déjà plusieurs, mais je m’en paie encore un…pour ne pas
manquer de biscuits dans ma vieillesse.
Le
22 : Pas de livre aujourd’hui, je vais au Printemps acheter un nouveau
matelas et n’y emporte qu’un mini sac.
Samedi
23 Avril 2005 : Pas de livre aujourd’hui, jour de mes soixante ans. Il est
écrit sur le gâteau Bon anniversaire.
Nous t’aimons. J’adore ces fêtes rituelles si joliment mises en scène. Je
les ai inventées et elles se sont d’elles-mêmes transmises, vérifiant ainsi le
projet de propagation du vivant.
Dimanche :
Je relis avec plaisir le livre de Salim Jay Les écrivains sont dans leur
assiette. L’idée est originale et la réalisation adéquate. Même s’il n’y a
pas de quoi se coller au plafond comme disent les jeunes, cet embryon de
recherche du temps perdu donne quand même à penser. La preuve dix années après,
lors de la mise au propre du texte qui déborde de toutes parts et ne cesse
d’enfler à chaque relecture, je me souviens encore de cette réussite.
Louis
Aragon laisse de côté la dialectique lorsqu’il écrit ce que je lis sur
l’agenda : Je crois encore qu’on
pense à partir de ce qu’on écrit et pas le contraire. Abondamment traité de
crapule stalinienne par des révolutionnaires jeunots qui croient que le
monde a commencé avec eux, il apporte là la preuve que la philosophie marxiste
a encore quelques secrets pour lui. Comment s’en étonner de l’auteur de ce Je vous salue ma France aux yeux de
tourterelles ? En voilà un qui a réussi à échapper au réalisme
socialiste et au peloton d’exécution sans renoncer pour autant à l’espérance
d’un monde meilleur en écrivant Je chante
pour passer le temps/ Petit qu’il me reste de vivre/ Comme on dessine sur le
givre/ Comme on se fait le cœur content…
Lundi
25 Avril : Consultation de mes livres sur les oiseaux pour identifier un
nouvel hôte que je viens de repérer la veille à la campagne. Aucun doute il
s’agit bien de la bergeronnette grise. Je ne pouvais pas le deviner car je n’en
connaissais que sa variété colorée.
Retrouver
le 26 dans ma boîte à trésors Louis Pasteur, l’immortel bienfaiteur, le
prix que j’ai reçu à l’Ecole Communale de la rue des Moines Paris 17e et dont
j’ai toujours gardé un vif souvenir. Avant lui on étouffait les malades de la
rage entre deux matelas. La preuve dans la planche couleur fixée au milieu du
livre.
Mercredi :
La représentante des Editions Citadelles
et Mazenod qui m’apporte à mon domicile Les abbayes d’Europe
dont j’ai fait l’acquisition dans la Salle des Professeurs quelques jours
auparavant. Elle est devenue presque une amie, tant ses livres dans le pire
m’ont sauvé la mise. Elle m’appelle Le
petit soleil et même si c’est un argument commercial dont je suis la preuve
vivante de l’efficacité, c’est toujours plus agréable que les collègues qui
menacent de me claquer la gueule ou me traitent de grosse et moche !
Le
28 : Bien que ma bibliothèque soit déjà saturée, je réussis quand même à y
faire entrer ma dernière acquisition. Je suis devenue experte dans l’art
d’utiliser l’espace ! En matière de livres, on n’imagine pas le nombre de
recoins vides dans lesquels on peut en caser ! Quand je considère
l’ensemble, force m’est de constater que j’ai quasiment inventé une nouvelle
discipline de l’art domestique et heureusement!
Rétroactivement
lorsque je pense à la masse de livres que j’ai distribués de tous les côtés,
j’en ai froid dans le dos. Si je ne l’avais pas fait, l’appartement aurait
depuis longtemps été absolument submergé. Et nous avec. Accumuler n’est pas
forcément un atout et d’autant moins qu’on ne peut plus y avoir accès. Cela
devient alors un enlisement. Du coup le sol se dérobe sous soi, on tombe dans
le fourbi, on ne parvient pas à se redresser et pour finir on étouffe.
N’empêche
qu’il ne m’échappe pas que la liquidation de ma bibliothèque n’est pas sans m’évoquer
le livre d’Elias Canetti Autodafé à la lecture duquel je n’avais sur le
coup rien compris. Ma lanterne a commencé à s’éclairer comme de mon côté j’ai
commencé à me débarrasser d’une partie de mes livres, ce que je n’aurais jamais
fait auparavant.
Est-ce
à dire que le livre a cessé d’être sacré ? En cas de besoin on peut
toujours répondre à côté de la question ! Ou bien citer Olivier Clément. Il n’y a pas de profane, mais seulement du
profané ! Et encore je ne suis même sûre que cela s’applique à la
situation. Mais c’est plutôt que le sacré nomade n’est pas celui du sédentaire…
Il n’y a pas que la République qui ait perdu quelques uns
de ses territoires. Moi aussi… Comme le mariage n’a plus rien signifié…
Vendredi :
Encore une fois je ne prends aucun livre pour ne pas surcharger mon sac. J’en
suis là, je le constate ! Il y déjà plus d’un an que le médecin traitant
voulait m’arrêter au motif que je n’étais plus en état de travailler. Et comme
je lui opposais mon sens du devoir et de la nécessité professionnelle, il
m’affirma que beaucoup de mes collègues l’étaient pour bien moins que ce dont
j’étais affectée… Tomber raide n’est pas l’idéal, mais au moins on sait où on
en est.
Samedi
30 Avril : L’archibonheur de la redécouverte du
style extrême de Pierre Brasseur dans son livre Ma vie en vrac. C’est
inattendu ! Comme quoi la littérature n’est pas toujours là où on
croit. Le savent bien tous ceux qui en lisent effectivement, ce qui n’est pas
tout à fait une sinécure.
Dimanche :
Le chaos dans ma tête. Déjeuner en solitaire. Pas même un livre. Est-ce dû au
Premier Mai ?
Ces mots-là, comme les
enseignes et les affiches à lettres énormes échappent à l’observateur par le
fait même de leur excessive évidence. Je réponds à Edgar Poe que s’il y a quelque
chose de vrai dans cette idée, il faudrait l’affiner. Comme il y a ce que j’ai
appelé un défaut de représentation que
j’ai conceptualisé en observant mes élèves à la fin de ma carrière, il y a peut être aussi un excès
de représentation. C’est une idée qu’il faudrait développer et
d’autant plus que la société en proie à une médiatisa tion hystérique fait dans ce domaine
flèches de tout bois qui passe à sa portée sans tenter ni classement ni mise en
perspective, ni hiérarchisation. Elle répand ainsi un aplatissement qui se
généralise tous les jours davantage…
Lundi
2 Mai : Le livre est ce jour en voie de disparition dans une insoutenable
cacophonie ambiante.
Mardi :
Un cher ami me dit qu’il me faudrait trouver à lire un résumé de la pensée de
Jacques Lacan. Il a certainement raison mais il ne mesure pas à quel point le
sieur en question a défrayé la chronique à un tout autre moment de l’Histoire
alors qu’il n’était pas lui, en état de s’y intéresser.
4
Mai : Pour appuyer la feuille de papier dont je me sers encore au mépris
de tous les effets de mode, lors d’une prise de notes comme je suis assise sur
le lit, je saisis à portée de main sur les étagères, un livre au hasard. C’est Mort
de la famille... D’un certain David Cooper, pape de l’Antipsychiatrie…
Jour
de l’Ascension : Enfin des nouvelles du livre qu’on doit écrire à
plusieurs et qui s’appellera Le manteau rouge. J’ai la conviction qu’il
se fera. Dix ans après, force est de constater que non seulement le projet a
été abandonné mais que j’ai été effrayée par la volonté de capitalisation de
l’une des protagonistes.
Vendredi :
A Goussainville dans le restaurant où j’ai mes habitudes après la visite rendue
à mes parents, je constate que je n’ai rien à lire. Cela arrive. Cela n’est ni
un accident, ni un évènement, mais l’un des avatars de la vie quotidienne
résultat elle-même d’une grande quantité de facteurs difficilement
maitrisables.
Outre
cette réalité qu’on peut qualifier d’au ras du terrain, au choix des
pâquerettes ou du trottoir, se trouver un moment sans avoir un livre à lire
alors qu’on le souhaite est une nécessité. Non seulement métaphysique pour
éprouver le manque qui permet la formation du désir, mais aussi pour qu’il y
ait un espace vide dans lequel va pouvoir émerger du nouveau. Chacun connaît
l’anecdote selon laquelle après avoir conquis Jérusalem, Alexandre Le Grand
demanda à voir ce qu’il y avait dans l’Arche. On la lui ouvrit, et elle était
vide…
Samedi
7 Mai : Réflexion collective sur le choix du livre qu’on va offrir dans
quelques jours à ma belle-sœur, pour son anniversaire.
8
Mai : Par commodité, par habitude, par plaisir, je feuillette le livre sur
lequel mon voisin travaille. Il se trouve qu’il porte sur les problèmes fonciers
des Gitans. Voilà une question sur laquelle je n’aurais pas eu sans cette
opportunité, l’idée de me pencher. Or elle se pose bel et bien.
Ecrire pour être moins
seul dit
Charles Juliet. Malheureusement ou heureusement j’écris pour moi ou plus exactement,
cet œuvre est le produit de mon activité cérébrale autonome qui fonctionne
elle-même pour son compte. Je l’ai souvent et très tôt dit : Cela se
fait en moi ! Peut-être même sans moi ou au moins
contre moi.
Les
livres d’aujourd’hui, ce sont les manuels d’économie de mes élèves et pourtant
dans mon sac, j’ai bien Le songe de Gabriel d’Annunzio.
Mardi
10 Mai : Choisi parce qu’il était mince et ne surchargeait pas mon sac
déjà difficile à transporter, un livre sur Alexandre Blok. Très mince
même ! Du coup j’en reste un peu sur ma faim. J’aimerais en savoir
davantage sur le Siècle d’Argent et ce qui s’en est suivi. On a oublié de
m’instruire sur cette civilisation de la Baltique répartit sur tous les pays à
l’entour.
C’est
par moi-même que j’ai découvert là une autre méditerranée – entendons par là mare nostrum - matrice
d’une autre Europe. J’ai failli tomber par terre à la vue de tableaux dont
j’ignorais tout, en occupant par moi-même un après-midi laissé libre dans un
emploi du temps, en entrant de mon propre chef au Musée des Beaux
Arts d’Helsinki. Pour ceux qui l’ignorent, je précise qu’il s’agit alors
du syndrome de Stendhal, reconnu par la médecine.
Le
11 : Je termine mon cours en première année de Techniciens Supérieurs
Comptables. Quoique contrastée dans ses comportements, cette classe là n’a pas été la pire. Du coup je suis en situation
d’y distribuer huit prix que pour l’occasion et par opportunité, je dénomme de sérieux.
Il s’agit de très beaux manuels que je viens de recevoir en spécimen. Après tout,
les éditeurs de livres scolaires ne sont pas nécessairement informés que je
pars en retraite, cet été.
Le
12 : Cette fois j’achève mon enseignement en première année Assistance de
Gestion dans un échec presque total. Il faut noter qu’il ne l’est jamais
complètement, quoi qu’il se soit passé effectivement, même le pire. C’est que
de toute façon, l’auditoire est toujours varié, c’est la contrepartie de
l’hétérogénéité.
De
retour dans la Salle des Professeurs - suivant le protocole que j’avais
prudemment d’avance programmé, je jette dans la poubelle le manuel dont je
viens de me servir avec une véritable impression de soulagement. J’ai bien fait
il y a des années d’en demander l’installation car j’en avais dès cette époque
découvert l’impérieuse nécessité. Sans vouloir ni me vanter ni surestimer mon
rôle concernant l’aménagement de cette pièce aussi essentielle aux collègues
que la Salle de Garde des médecins à l’hôpital, je n’hésite pas à signaler que
je suis aussi à l’origine de l’installation de l’horloge et du groom permettant
de ne pas laisser inutilement ouverte, la porte menant au local des toilettes.
Vendredi
13 : Alors que ma vie professionnelle est quasiment terminée, je reçois
quand même le nouveau manuel pour les élèves de Première Sciences et Techniques
Tertiaires. En couverture, une photographie du nouveau Viaduc de Millau, le
plus haut pont du monde.
Samedi :
L’agenda n’est pas clair ! Soit je me suis trompée, soit j’ai reçu deux
fois le même spécimen dont il est encore fait mention cette fois
là. Ce n’est pas impossible, cela arrive quelquefois. Les éditeurs n’ont
pas toujours leurs fiches à jour et de toute façon dans ce cas-là, on les donne
aux nouveaux arrivants qui n’ont pas encore pu être immatriculés. La gratitude
qu’ils en ont est à mettre au versant lumineux du monde, d’autant plus que non
seulement cette redistribution ne nous coûte rien, mais mieux encore, elle nous
débarrasse. Donc contrairement à ce qu’on dit il y a des cas où le bonheur des
uns fait aussi le bonheur des autres.
Dimanche :
Je retrouve un des deux spécimens en question sur le bureau d’un comparse. Je
m’en étonne…
Sur
la page de droite de l’agenda que je persiste à tenir contre vents et marées,
François Caradec nous tient tout un discours sur la
notion de maquettiste. Cela me donne à penser que si ma santé se rétablissait
après avoir quitté le Lycée - car je termine à moitié invalide - je me mettrais
sérieusement à l’infographie. Un joli métier, utile de surcroît.
Particulièrement lors de cette Révolution Cybernétique tellement sauvage.
Lundi
16 Mai : Pour ne pas perdre mon temps dans cette journée dont le programme
est incertain, j’emporte du travail à faire et un livre à lire mais nobody is perfect, j’oublie mes lunettes !
Mardi :
Cette fois j’ai bien le livre et les lunettes mais je manque complètement
d’énergie. Force est de constater que la lecture n’est pas une activité qui va
de soi. C’est sans doute ce qu’a compris la jeune génération qui installe sur
son site son portrait en lecteur avec cette mention parodique Tu t’es vu quand t’as lu ? En
remplacement bien sûr du slogan phare de la campagne contre l’alcoolisme :
Tu t’es vu quand t’as bu ?
Le
18 : Les livres d’aujourd’hui, ce sont ceux dont parle La Quinzaine
Littéraire : Celui de Goux et
celui d’Hélène Lenoir aux Editions de Minuit. Le feuilletage de cette revue
papier est tout de même le moyen le plus rapide de se tenir au courant. A
condition de ne pas perdre de vue qu’il y a plus de quatre cents prix
littéraires…
19
Mai : Réception en espagnol d’un recueil de nouvelles d’écrivains
antillais. Je suis dedans. J’en pleurerais… L’esprit souffle où il veut. Là
apparemment il s’agit de l’Amérique centrale.
Le
20 : Les livres de Cook, La Pérouse et Bougainville dont je parle avec un
des pensionnaires de la maison de retraite où je vais visiter mes parents
lesquels - nonagénaires hélas - ne sont plus du tout en situation de tenir une
conversation quelconque. De toute façon, même auparavant, cela n’aurait pas été
possible. Pourtant, ils ont toujours aimé les voyages et je leur ai de la
reconnaissance de m’avoir - dès l’enfance - emmenée avec eux.
Samedi :
A la brocante de la rue de Courcelles, des livres que je n’ai hélas pas les
moyens de regarder, ma polynévrite me commandant de rentrer. Ce n’est pas en
option !...
Dimanche :
Le petit carton des Editions Vents d’Ouest qui du Canada m’envoient vingt
exemplaires de mon recueil de nouvelles Grand choix de couteaux à
l’intérieur. L’émotion de lire mon nom et mon adresse sur l’étiquette de ce
paquet qui a tout de même fait un long parcours..
Gérard
de Nerval s’explique dans le petit agenda que m’a donné l’un de mes éditeurs
sur ce que peut être une politique volontariste de la typographie. Je le sais
bien ayant rendu grâce en leur temps à ceux qui matériellement imprimaient mes
livres et qui étaient venus au Salon du temps où - en majesté - il se tenait
sous la verrière du Grand Palais. Vous
écrivez beaucoup m’avaient ils dit, on parle souvent
de vous et on voulait vous voir !...
Lundi
23 : à Monoprix, l’étonnement de constater que – pourtant si petit - le
rayon librairie au sous-sol propose quand même trois ouvrages différents sur la
Constitution, à cause bien sûr des débats de l’actualité à savoir le nouveau
Traité Européen. Je la connais très bien puisque même je l’enseigne. J’achète
donc pour m’en distraire, les Mémoires d’outre-mère
de Guy Bedos.
Le
lendemain j’en achève la lecture et profondément déçue, l’offre en cadeau à une
collègue présente dans la Salle des Professeurs. J’ai de plus en plus souvent
recours à ce genre de procédé pour éviter un encombrement que je combats
énergiquement. On peut dire que cela manque de délicatesse mais ce n’est pas
certain.
Le
25 Mai, dans l’attente de la séance d’acupuncture qui a lieu en face du Lycée,
dans la Salle des Professeurs que je vais définitivement quitter le 6 Juin, je
lis un manuel de Français laissé là sur la table. En cette période de fin
d’année scolaire, il est courant d’en trouver ainsi en déshérence sinon encore
à l’abandon. Ils sont potentiellement à qui les veut, mais je ne suis pas
intéressée. J’ai programmé la rupture complète avec l’Education Nationale, seul
moyen de surmonter ce qui dans ce cadre là m’est
arrivée. Sinon une tragédie au moins un drame. La tragédie aurait été de donner
suite à l’idée folle de me faire brûler devant la porte de l’établissement pour
protester contre le naufrage en cours. Heureusement j’ai résisté à la
tentation.
Le
26 : Je rends à l’élève concerné, le manuel de Droit que je lui avais autrefois confisqué car il en faisait mauvais usage.
Manuel payé par les contribuables puisque c’est désormais la Région qui les
fournit.
J’ai
enfin dans les mains le 27, la belle revue du Séminaire Traverses dans laquelle Monserrat Prudon m’a publié mon article Histoires du cinéma concernant la série de films de
Jean Luc Godard, constituant tous ensemble ce que j’ai appelé un opéra-chaos.
Samedi
28 : La fatigue et la lassitude à l’idée qu’il serait opportun de
réorganiser les bibliothèques de la campagne. Point trop n’en faut ! Je me
souviens du proverbe inventé avec mon père Quand
Rome croule, qu’importe le Transtevere ! Il arrive que comme le corps
physique, la raison elle-même - dont le siège peut être parfois volatile - ait
parfois besoin de jachère.
Dimanche :
Il faudrait mettre en ligne sur mon site Internet, les références de mes livres
édités mais je ne les ai pas. Je pourrais bien sûr chercher à les collecter. On
n’imagine pas la quantité d’efforts qu’il faut fournir pour le moindre
résultat.
En résumé un beau livre
est sur toute chose une parfaite machine à lire. Signé Paul Valéry.
Voilà ce que je lis à l’emplacement consacré. J’ajoute que les beaux livres
déclenchent en moi l’extase alors que je me méfie des librairies qui souvent me
provoquent une certaine panique dont j’ai analysé la cause, à savoir
l’homogénéité du produit qu’elles proposent dans leur magasin…
Lundi
30 Mai : Le Proviseur m’invite à déjeuner à l’occasion de ma mise à la
retraite. J’ai en effet refusé la cérémonie officielle prévue qui ne pouvait -
eu égard à la situation - qu’être une caricature du rite républicain. De mon
côté, je lui offre mon recueil Grand choix de couteaux à l’intérieur. En
feuilletant mon ouvrage – sans que je sache s’il s’agissait de politesse, de
conformisme ou d’un réel intérêt pour mes activités - il tombe sur la phrase
concernant l’ours, métaphore du poète libertaire Peu arriviste, il n’arrivait pas… et a un petit rire gêné.
31
Mai : Des livres qu’on m’offre, mais comme la relation n’a pas eu lieu, ils
ne me font pas vraiment plaisir. Je suis étonnée de trouver cette notation dans
l’agenda original et ne retrouve absolument pas à quoi cela peut bien
renvoyer…. Etant donné que de toute façon, les livres sont les livres… La
preuve que non !
Mercredi
Premier Juin : Je rends à l’aide documentaliste, les manuels d’Economie et
de Droit qui appartiennent à la Région qui nous les a prêtés. Y compris ceux
dont je me suis moi-même en tant que professeure, servis.
Jeudi
2 : Le livre des nouvelles en espagnol que j’offre à la collègue qui m’a
ces dernières saisons, traduit les lettres de la maison d’édition qui me les
adressait dans cette langue.
Vendredi :
Le livre Les Campeurs de la République, de la sociologue Martine
Lefeuvre Déotte dont je me demande s’il est sorti.
Son auteure est venue à mon domicile me questionner puisque j’avais - aux
premières loges - participé à cette aventure. Le fait est que le Groupement des
Campeurs Universitaires - fondé par des brigadistes de la Guerre d’Espagne -
m’a mis le pied à l’étrier en matière d’autogestion. Dans la langue
contemporaine, on dirait que c’est mon ADN.
Samedi
4 Juin : Prise de bec chez le marchand de journaux en raison, déraison
plutôt d’un malentendu concernant le mot bouquin
appliqué à tort à des magazines grand public. Dans la crise de la culture qui
ronge la société, j’ai vécu cela comme la goutte d’eau qui faisait déborder le
vase. Disons plutôt déborder la vase. Du coup j’ai tout laissé en plan et suis
partie.
Dimanche :
Le livre aujourd’hui, c’est le dictionnaire. Mais je n’en suis pas complètement
satisfaite car les sens qu’il donne pour le mot mignonnette ne sont pas
suffisants. On s’étonne tout de même toujours de constater à quel point un seul
vocable peut avoir autant de significations sans rapport les uns avec les
autres. La lecture du Littré est à cet égard, édifiante…
Quand on parle
aujourd’hui de culture, les gouvernements pensent à ouvrir des écoles, à faire
marcher des presses à livres, couler l’encre d’imprimerie, alors que pour faire
murir la culture il faudrait fermer les écoles, brûler les musées, détruire les
livres, briser les rotatives des imprimeries. C’est ce qu’affirme
avec culot Antonin Artaud presqu’au milieu de mon petit agenda. Encore un
propos inconsidéré ! Les quinze dernières années ont quasiment réalisé ce
projet cauchemardesque et on en voit bien le résultat : Une barbarie sans
nom.
Lundi
6 Juin : On m’informe qu’un ultime spécimen de manuel pour les élèves
m’attend à la Documentation du Lycée. C’est mon dernier jour au Lycée et je ne
vais pas le chercher. J’entrevois déjà dans cette désinvolture qui ne m’est pas
habituelle, le surcroît de liberté qui va résulter pour moi du fait de quitter
cet établissement dans lequel j’ai pendant trente ans gagné le prix de ma
liberté hors de prix.
Le
7 : Il serait bien de préparer mes propres livres pour le Colloque de
Paris VIII Vincennes - Saint Denis lors duquel je dois faire une communication
sur le thème de l’impossible
représentation et de penser la fusion.
Mais je n’en ai ni le courage, ni la force, ni l’envie !...Une sorte
d’électroencéphalogramme plat. Après tout au bout de quarante ans au service de
l’Education Nationale sans ménager ma peine dont le dernier quart dans une
terreur croissante, il y a bien de quoi et du coup, pas matière à s’en
offusquer…
8
Juin : Chez le pharmacien dans un présentoir, des livres de médecine. Rien
à dire ils sont bien là à leur place. A condition d’admettre qu’on n’a pas
seulement à faire à un épicier spécialisé comme s’efforce de me le faire croire
quelqu’un de mon entourage…
Jeudi
9 : Les livres ce jour, ce sont ceux qu’à la tribune de l’Université
tiennent entre leurs mains, les lectrices de poésie. Ce ne sont pas toujours
les leurs. Mais ce qui me chiffonne un peu c’est que la confusion entre les
deux n’est pas systématiquement pourchassée. Il ne s’agit pas de malversations
programmées, mais plutôt d’un climat de manque de rigueur en quête
d’opportunités.
Vendredi
10 Juin : Sur la table d’accès à la salle du colloque, des piles des
livres des intervenants. N’ayant rien apporté, les miens n’y sont pas.
Finalement c’est logique, il n’y a pas à s’en plaindre… Et d’ailleurs je ne
m’en plains pas. Je constate simplement une fois de plus à quel point il m’est
difficile de me mobiliser pour ma propre réussite. C’est même une quasi impossibilité. En fait je ne comprends même pas de
quoi il pourrait bien s’agir.
Le
11 Juin : C’est le jour où j’interviens. Cette fois ils y sont bien mes
chers livres apportés par les Editions des Femmes qui les ont édités. J’ai de la
gratitude pour leur action. Cela me fait plaisir de les voir. Et les livres et
les Femmes.
Dimanche :
Aujourd’hui, le livre est en projet. Ce sera celui des Actes de ce colloque.
Toute la différence entre serait et sera. Du coup cela justifie largement la
peine que j’ai prise à la rédaction intégrale de mon travail. Je ne prends pas
ce travail à la légère et c’est une litote.
Sur
la page de droite, du Jabès encore ! Si
ma liberté n’était pas dans le livre,
où serait-elle ? Si mon livre
n’était pas ma liberté, que serait-il ? Elle est là certes, mais aussi
ailleurs. Et pour moi plus spécialement, elle est dans tout. Potentiellement
dans tout ! C’est ce qui m’a sauvée mais tout aussi bien ce que j’ai
sauvé. Non que je l’ai a priori pensé et souhaité. Mais refusée par ma mère,
une fois que j’ai eu décidé de vivre quand même, il a bien fallu que j’en
organise au quotidien, l’application.
Lundi :
Dans un téléfilm américain qui se passe en prison, les livres de la
bibliothèque de l’établissement de rétention et plus spécialement toute une
série de recueils juridiques que peuvent – principalement pour argumenter leur
défense - consulter les détenus. C’est du moins ce que j’imagine à partir de ce
que je sais.
14
Juin : L’un de mes livres que je tiens à la main pour me faire reconnaître
lors du rendez vous où je vais retrouver Eliane
perdue de vue depuis quarante six ou quarante sept ans. Concernant la vie intellectuelle, d’une
certaine façon à Hélène Boucher – à Paris le meilleur lycée de jeunes filles -
c’est elle qui m’a mis le pied à l’étrier lorsque j’étais adolescente. Ou du
moins est-ce à l’étrangeté de son contact que j’ai commencé à m’interroger sur
les spécificités culturelles de chacune.
15
Juin : Aujourd’hui les livres en cause, ce sont de nouveau les miens qui
reviennent de tour en tour comme les éléments d’un manège puisque je rédige
enfin ma communication pour la faire publier.
Jeudi
dans la splendeur du Café de la Paix, un homme à qui je parle de mes deux
livres philosophiques Canal de la Toussaint et La Pensée Corps.
J’admets bien volontiers que ce sont des livres difficiles et j’ai de la
reconnaissance pour celle qui a bien voulu les éditer. Mais avec suffisamment
de temps devant soi et une absence de dogmatisme et de préjugés de l’autre côté
de la table, on peut tout de même parvenir à se faire comprendre et avancer un
peu.
17
Juin 2005 : Aujourd’hui le livre a complètement disparu. Par épuisement,
aboulie et désespoir de la dureté de ma condition, autant subjective
qu’objective. Ce genre d’état ne m’impressionne pas. J’en ai depuis longtemps
la familiarité. J’envisage même - si un jour j’en ai le temps - d’écrire tout
un ouvrage recensant tous les états crépusculaires que je connais. Un catalogue
des états psychiques mortifiés et partant mortifères pour aider les praticiens
à mettre de l’ordre dans tout ce fourbi. J’en connais au moins une douzaine que
j’identifie sans difficulté. Expérience due à l’âge mais aussi à la nécessité
de déclencher le plus rapidement possible la contre-offensive qui convient. Je
dis bien contre-offensive et non thérapeutique.
Samedi
dans mon sac, un livre que je trimballe sans le lire. Ce mot d’argot m’apparaît
un peu déplacé lors de la mise au propre de l’agenda. Je pourrais effectivement
le remplacer par colporter ou transporter mais je ne suis pas sûre qu’ils
rendent compte de la même façon de cette action qui n’en est pas vraiment une
mais tout au contraire un commencement de démantèlement.
Dimanche :
Le choix d’un livre en prévision de la surveillance du Baccalauréat que je dois
assurer demain. Les nouvelles de Daniel Boulanger globalement dénommées
L’enfant de Bohème.
Gombrovicz se plaint de l’excès de publications de livres
et craint qu’ils ne s’entredévorent. Je n’irais pas jusque
là mais il y a peut être là
dedans un peu de vrai ! Néanmoins là où cette menace se précise et
génère sur les rayons une certaine dysharmonie, il est toujours possible d’y
parer en en réorganisant l’aménagement.
Lundi
je commence les nouvelles de Boulanger, enthousiasmée par le style.
Le
21, Jour de l’Eté : Je rêve au livre de montagne que je pourrais offrir à
mon père qui en a toujours été un amateur fervent. Même s’il n’est plus en état
de lire, il peut encore regarder les images, dans ce cas disons plutôt, les
photographies.
Mercredi :
Au restaurant des Buttes Chaumont, bonheur de lecture de L’enfant de Bohème.
Bonheur aussi de tous ces lieux parisiens enchanteurs parce que paisibles et
esthétiques, renvoyant toujours à des tableaux qu’on a par ailleurs, ailleurs
déjà vus.
Jeudi :
Retour des surveillances du Baccalauréat. Dans l’autobus PC plein à craquer je
me délecte du style de Boulanger, c’est déjà ça ! C’est déjà énorme aurait
dit ma belle mère bien aimée reconnaissant par cette
formule quasiment magique la difficulté de la vie ainsi que toute la sagesse
nécessaire pour y faire face et espérer s’en arranger. Je ne peux pas dire que
je tiens d’elle puisque notre lien n’est né que de l’alliance, mais nous nous
sommes reconnues et aimées dans notre volonté commune en tant que femmes de
faire au mieux pour le mieux, quelle que soit la situation…
24
Juin : L’idée de contacter les Editions Godefroy pour l’édition de mon
manuscrit Sommes nous bien loin de Montmartre ? A la
mise au propre de cette notation je me demande tout de même comment j’ai pu
avoir une idée pareille ! La réponse est pourtant simple. En dix ans la
société française s’est bouleversée, euphémisme même d’un certain
anéantissement et le monde littéraire encore bien plus que le reste.
Le
fait est que pour l’observation de ce phénomène j’ai été aux premières loges.
Pas seulement ces dix dernières années mais tout aussi bien les quarante de ma
vie de publication. Je suis quasiment un cas d’école, et d’ailleurs lorsqu’on
lit sur Internet les commentaires que nos voisins font sur la vie littéraire
française, c’est ainsi qu’on m’y présente. Ce n’est pas la mince consolation
qu’on pourrait croire. Tout au contraire, la période historique ayant été et
étant ce qu’on sait, il s’agit plutôt là d’une gloire.
Samedi
au Marché de la Poésie, aucune nouvelle de mes livres qui doivent paraître. De
toute façon mes éditeurs ne sont même pas là. Autant dire que l’affaire est mal
engagée. Heureusement, on s’habitue à tout !
Dimanche :
Une flopée de livres rapportée du Marché de Saint Sulpice. De nouveau la
problématique de l’argot qui n’a pas son équivalent dans la langue académique.
Il pourrait paraître faux d’écrire qui
n’a pas son équivalent en français car l’argot fait partie du français.
J’admets surtout pour l’avoir expérimenté par moi-même - ayant récemment mis en
français académique une vingtaine d’années de récits et commentaires sur
l’évolution de la société – activité qui n’est pas de tout repos ! Force
m’a été de constater, lorsqu’a été achevé ce travail dénommé par référence à la
Prose du Transsibérien de Blaise Cendras Sommes nous bien loin de Montmartre que le passage de l’argot à la langue
académique lui avait fait perdre la moitié de son intérêt.
Thomas
Bernhard évoque une anecdote traitant de la folie. De mon côté je sais qu’il
m’a fallu en guérir lorsqu’elle s’est attaqué aux livres… Je n’aime guère me
souvenir de tout cela. D’ailleurs je l’ai déjà à moitié oublié comme toute la
face noire de ma vie. Comme je l’ai écris quelque
part, je n’ai pas seulement le goût du bonheur, j’en ai aussi la vocation et la
manie. Ou quelque chose comme cela.
Lundi :
Lecture de Mourir à Vukovar un livre de Tristan Cabral publié chez Cheyne et acheté hier à la presque millénaire Foire Saint
Germain Rue Bonaparte. Un pur chef d’œuvre ! Je persiste à penser que la
destruction de la Yougoslavie a signé la fin de l’Europe en tant qu’idéal
humaniste. Il n’est pas certain qu’elle s’en remettra…
Heureusement
en ce qui me concerne, ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai été marginalisée…
29
Juin : Achat au Supermarché de tout un paquet de livres en prévision de la
toujours difficile période des vacances. Mais il se peut que je les ai déjà lus avant même leur commencement.
Jeudi
30 : La mauvaise vie de Frédéric Mitterrand. La campagne de
France de Goethe que j’évoque avec un ami pour lui raconter qu’à la
bataille de Valmy, l’auteur y découvre les tracts français en faveur de
l’Egalité. Il faut le lire pour le croire ! Quel dommage que personne
n’ait pensé à nous raconter cela.
Premier
Juillet : J’ai presque déjà terminé la lecture de La mauvaise vie
avec une fois de plus la désagréable impression d’avoir été trompée par des
agents commerciaux déguisés en critiques littéraires.
Samedi :
Je m’interroge sur le sort à attribuer à ce livre peu convaincant voire moins
en raison du manque d’affinités. Il ne suffit pas de transgresser pour tutoyer
les dieux.
3
Juillet : Le projet de terminer un recueil de nouvelles pour le Salon. Je
mesure à cela à quel point la simple publication du Fichu écarlate à la
demande des Editions des Femmes et la participation de ce fait à leur reprise a
renforcé non le courage - qui n’a jamais manqué puisque l’écriture elle-même
s’est poursuivie en continu – mais donne un point d’appui qui permet d’engager
l’action. Une digue, un sceau, un cachet quelque chose qui clôturant met fin à
la divagation errante, ou du moins la fait espérer en en rappelant l’existence
et permet ainsi l’établissement de la forme. Je m’en suis déjà largement
expliquée dans mes œuvres précédentes.
Sur
la page de droite, la règle n’a pas été respectée. Il ne s’agit pas cette fois
de l’habituelle citation d’un écrivain suivie de la place largement nécessaire
pour y noter ses propres réflexions, mais d’une information transmise par le
journal Le Monde en 1998. On y apprend qu’à cette époque, la Douma russe
n’avait pas assez de papier pour imprimer ses propres lois. J’en conclus que la
réalité est toujours plus triviale qu’on l’imagine ! Je le sais depuis
déjà un bon petit moment et c’est un élément de ma sérénité.
Lundi :
Lecture du livre d’un certain François acheté lui aussi à ce qu’on pourrait en
effet appeler le Marché des livres. J’en avais entendu parler dans une
association de promotion en faveur de la poésie et lui en avais écrit des
compliments. Non pas une formule de politesse, mais ce que j’en pensais
vraiment…
5
Juillet : L’enfant d’eau de Tristan Cabral. Je le lis en attendant
pour les interroger, les candidats que le jury évite de m’envoyer. Je crois
comprendre qu’on se méfie de mon absence d’accommodements avec la fraude et
l’ignorance… Je n’y ai aucun mérite, j’ai été élevée dans l’Ancien Monde…
Mercredi
6 : La traduction allemande de ma Pensée Corps qu’il est question
de publier à Vienne ou à Zurich. Cette idée m’excite terriblement.
7
Juillet : Je calcule le nombre de pages existant déjà pour s’intégrer dans
le recueil de nouvelles dénommé La galerie des reptiles est fermée à l’heure
du déjeuner pour savoir si il a d’ores et déjà atteint une épaisseur
suffisante pour en envisager la publication ou bien si je dois impérativement
continuer à en écrire.
Je
parcours le livre de Frédéric Pottecher sur les
grands procès. Le 8 Juillet. Je me souviens que dans le poste de radio de mon grand père, sa voix redonnait forme au monde et me gardait
de m’abandonner à la terreur ambiante qui m’aurait sinon décomposée. Il fut à
cause de cela l’un des phares qui m’ont permis de ne pas sombrer dans
l’expérience inouïe de mon enfance.
Heureusement
je n’ai eu conscience de cette vie exceptionnelle que beaucoup plus tard pour
ne pas dire au seuil de ma vieillesse. C’est sans doute à cause du mécanisme
bien connu de nos prédécesseurs, phénomène qu’ils ont résumé pour nous tous
dans le proverbe A brebis tondue, Dieu
mesure le vent. Ainsi me suis-je trouvée mentalement équipée d’une naïveté
à toute épreuve et pour tout dire, elle a même résisté à l’avènement de la
vérité à savoir la prise de conscience de la réalité.
Samedi
9 Juillet : Pas de livres aujourd’hui. C’est le premier jour de ma
retraite après quarante ans au service de l’Education Nationale. Je décide une
pause. Jachère et tricot !
Dimanche :
A la Radio, Alain Finkielkraut interrogé sur ses propres changements depuis la
publication de son livre Le juif imaginaire. Il ne se dérobe pas. C’est
l’une des raisons de son succès. La nature a horreur du vide. Ainsi détient-il
désormais le magistère de la parole. Il fallait bien que quelqu’un s’en charge.
Curieuse
citation de G. Haddad : A
quoi ressemble un enfant dans le ventre de sa mère ? A un livre plié. Voilà
une bien haute idée de l’être humain et de
l’existence ! Hélas, ce n’est pas toujours le cas. Maman de son côté le
comparait à une feuille et c’est d’elle que je tiens ce goût forcené de la
botanique. Est-ce à cause de cela que j’ai écrit Ton nom de végétal ?
Ce n’est pas impossible ! Ma philosophie personnelle ayant pris racine
dans l’observation de la nature, je sais qu’il n’y a pas forcément autant de
différence entre ces deux conceptions qu’on pourrait le croire à la lecture de
ces lignes.
Lundi :
Avec une amie du temps de mes études secondaires une conversation sur La
mauvaise vie. Dans cette catégorie – car cela en est aujourd’hui une et
disons même, à la mode - je lui dis préférer l’ouvrage que de son côté vient de
publier Gabriel Matzneff. En débattant des raisons
pour lesquelles l’une et l’autre nous préférons l’un des livres, je me rends
compte qu’en fait l’un agit et pense en bourgeois et l’autre en aristocrate.
Comme j’en fais part à mon amie, celle ci pousse des
cris d’orfraie. Impossible de lui faire comprendre ce que je veux dire et
pourtant cela me parait parfaitement exact. Mais les prérequis n’y sont pas.
Comment faire comprendre que l’utilité peut n’être pas un horizon indépassable
à quelqu’un qui ne sait pas à quel point la beauté est l’apogée du monde.
12
Juillet : Consultation du dictionnaire sur l’orthographe exacte de kaléidoscope. En vue de saisir une
opportunité de publication, j’envisage de l’utiliser dans une version courte de
mon texte La totalnité.
A la guerre comme à la guerre !... Pas de possibilité de vie littéraire
sans un minimum de compromis. C’est déjà très bien de réussir à éviter les
compromissions, surtout lorsqu’on est comme moi sans arrêt en proie aux
pressions des uns et des autres, tout à fait convaincus qu’ils sont en droit de
diriger ma vie. Pas moyen - sans grossièreté - de les dissuader d’un tel
projet. La leur ne leur apparaît à aucun moment !...
Mercredi :
Conversation avec Alexandre qui découvrant La peste d’Albert Camus me
dit que c’est exactement ce qui se passe. Je lui en cite de mémoire la première
phrase, sans pour autant garantir l’exactitude du mot à mot. Heureux ceux dont
la joie est partagée entre ceux qui l’ont créée !
Fête
Nationale : Je repère une émission littéraire sur Europe N°1. Mais je ne
parviens pas à l’identifier tout à fait. Du coup il me sera difficile de la
retrouver. Il est sidérant de constater le temps qu’il faut pour s’habituer à
bénéficier d’une séquence pourtant régulière. C’est d’autant plus dommage que
dans la désertification ambiante et ma quasi
impossibilité de déplacement, les ressources étant rares, il me faut bien faire
flèche de tout bois.
Le
15 Juillet : Histoire d’une vie d’Aharon Appelfeld que m’offre Florence. De mon côté je lui ai
préparé mon recueil de nouvelles Grand choix de couteaux à l’intérieur.
Un prêté pour un rendu mais néanmoins il y a tout de même des degrés dans
l’horreur.
Samedi :
La douleur et la grandeur d’un écrivain. Point barre. Beaucoup d’appelés et peu
d’élus…
17
Juillet : Pour surmonter les difficultés, je commence à lire le livre que
je voulais pourtant me réserver pour les vacances. Cela ne m’étonne pas, c’est
souvent comme cela. Du coup je garde une certaine distance par rapport à mes
propres projets. C’est sans doute un trait de caractère commun à tous ceux qui
n’ont pas pour des raisons sociales et culturelles - sans compter l’oppression
des femmes - la pleine maîtrise de leur vie.
Sur
la page de droite, Gustave Flaubert sur qui on peut toujours compter. Là Pour qu’une chose soit intéressante, il
suffit de la regarder longtemps. C’est assez bien vu et je ne suis pas loin
de penser la même chose. Enfant je m’abîmais déjà dans la contemplation des
brins d’herbe. L’habitude d’ailleurs ne m’a pas quittée.
Lundi
18 Juillet 2005 : Le livre d’Applefeld dans
lequel on s’enfonce comme dans la mousse d’un sous bois….
Mardi
les livres d’art achetés pour ma progéniture. Je les feuillette goulûment.
C’est toujours cela de pris. On ne sait pas de quoi demain sera fait. Ou plutôt
on le sait trop bien !...
Le
20 : Les livres emballés en paquets cadeaux. Ma joie au carré, dans tous
les sens du terme. Mon père disait avoir rêvé d’être magasinier. Je dois tenir
de lui. L’hérédité n’est pas nécessairement génétique. J’ai surtout baigné dans
son saint-simonisme dont il n’avait pas lui-même, conscience. Le projet de
ranger le monde. J’en ai même fait un livre.
Jeudi
21 : Sur les Boulevards, dans le passage des Panoramas, l’un des lieux
parisiens dont j’ai longtemps été familière à la sortie de mon rude travail,
avec le traducteur allemand. Les livres dont il est alors question sont les
miens. Nous sommes avec sa femme.
Le
22 : Dans le supplément du journal Le
Monde, l’évocation d’Un tramway
nommé désir. Tennessee Williams me remue toujours au plus profond. Marlon
Brando n’y est pas pour rien.
Samedi :
Pour le voyage vers la villégiature, quel sera le livre emporté dans le sac à
main ? Epineuse question ! Ce choix est loin d’être anodin. Ce voyage
est depuis toujours une épreuve pour toutes sortes de raisons. Pour qu’il ne
tourne pas au drame, je dois mettre toutes les chances de mon côté. Le viatique
de la lecture n’est pas - loin de là – suffisant pour assurer le succès de
l’entreprise, mais disons que c’est un adjuvant qui rend supportable ce qui
sans cela ne le serait pas !...
Le
24 Juillet : Je laisse à Paris le livre d’Applefeld
parce que décidemment trop c’est trop. Je le reprendrai au retour.
Frantz
Kafka : Un livre doit être la hache
qui brise la mer gelée en nous. D’après ce qu’on m’en dit, c’est l’effet
que font mes livres. Mais de mon côté je n’éprouve pas cela car rien en moi
n’est gelé, tout au contraire, tout est toujours en mouvement. A chaque
nouvelle information, je recalcule tout le logiciel.
Lundi
25 Juillet : Les livres d’aujourd’hui ce sont au rebord du Causse Rouge,
les leçons de peinture que je donne à mes petits enfants,
en m’appuyant sur Van Gogh et Monet. Impression,
soleil levant. Il a fallu soixante dix ans à
l’auteur de cette initiative hors du commun pour qu’elle entre comme une date décisive
dans l’Histoire de l’Art.
Qui
donc a dit L’Humanité marche du pas du
plus lent… et d’autant plus qu’il n’y a pas de marche du tout ni même une
évolution, mais plutôt un chaos de pulsions, de mutations, d’affrontements, de
dérive, de déshérence et de déréliction. Des œuvres d’art surnagent dans cet
océan de matières diverses comme des amers qui me permettent de ne pas perdre
ma route. Grâce notamment à mes classifications à la hache mentale.
Il
y a celles A tomber par terre. Ce que
la Faculté de Médecine a elle-même nommées Le
syndrome de Stendhal après en avoir constaté la réalité des symptômes
physiologiques. Et les autres que je qualifie d’un sans appel On s’en remettra ! Toutefois depuis
quelques temps, il me semble qu’émerge une troisième catégorie résultant
purement et simplement de l’escroquerie ambiante à laquelle s’ajoute l’excès
des liquidités provenant elle-même d’une plus value
qui ne trouve plus à se réinvestir dans des activités productives faute de
rencontrer le pouvoir d’achat qui permettrait son écoulement.
Mardi :
La femme sans que je jette à la poubelle tant il est mal écrit,
prétentieux et toxique. Inutile d’en nommer l’auteure. Je ne néglige pourtant
pas toute cette production de livres qui sans ressortir de la catégorie franchement
littéraire alimentent plaisamment les moments de loisirs. Encore faut il qu’on y trouve son agrément et qu’on en ait pour
son argent. Ce qui d’ailleurs chez cette auteure là
est habituellement le cas. Il faut du coup s’étonner des maisons d’éditions qui
les salarient et n’ont pas à l’égard de ces employées aux écritures, l’exigence
qu’un patron quelconque - soucieux du client et de la réputation de la firme -
aurait envers les siens.
Le
27 : Passage au crible de la bibliothèque du second étage de la maison de
vacances pour y rassembler tous les livres auxquels je tiens. Je veux continuer
à densifier la question. Le terme n’est pas vraiment approprié mais il est
difficile d’en trouver un autre. Il s’agit d’une activité nouvelle qui est en
rapport non seulement avec l’émancipation au long cours que je poursuis depuis
ma naissance et que j’ai - il y a déjà quelques temps
- résumé d’un Née esclave je veux mourir
libre mais aussi de la perception de plus en plus claire de la
catastrophe qui sans qu’on en connaisse encore l’échéance apparait de plus en
plus inéluctable !...
Le
28 : Nouveau dépôt dans la poubelle de ce que le magazine féminin dont
j’ai exceptionnellement fait l’acquisition appelle pompeusement un livre en
l’offrant sous cellophane à ses clientes, mais qui n’est en fait qu’un petit
fascicule à lire au mieux en surveillant une casserole en pleine action.
Vendredi :
Lecture attentive du Bottin de l’Aveyron dans l’espoir de trouver un ostéopathe
à Millau. L’expérience m’a montrée que c’était cette discipline
là qui pouvait le mieux me soulager, surtout celle des Anciens lorsque
c’était encore l’activité sauvage de certains kinésithérapeutes qui mettaient
en pratique leurs plus folles intuitions.
30
Juillet : Le livre de Bollardière Bataille
d’Alger, bataille de l’homme (1972) que mon alter ego vient de
racheter à l’endroit même où il avait déjà fait l’acquisition du précédent.
Nous ne sommes jamais à l’abri de ce genre de doublon. Après tout pas si
grave !... On peut toujours considérer qu’il s’agit là d’une subvention
exceptionnelle aux courageux de l’écriture et de l’édition. Sans compter pour
commencer à ceux de l’action. Je ne perds jamais de vue que l’étymologie
grecque du poème, c’est l’action. Il
faut lire sérieusement l’article du dictionnaire pour le croire…Et pourtant
aucun doute, c’est bien le cas !...
Dimanche
aux Puces : Douze livres d’occasion pour quinze euros ! Une véritable
réjouissance ! Fouiller dans ces boites de hasard est déjà un vrai
bonheur. Mais y trouver de quoi alimenter sa faim quotidienne est une grâce.
Mon contentement est total lorsque je retrouve les livres de poche à la
couverture dessinée ceux qui ont illuminés ma jeunesse.
Ma
joie est moins nette lorsque ces jeunots se débarrassent par cageots entiers de
la bibliothèque de leurs parents et que j’y trouve les auteurs qui faisaient
dans ma génération, ce qu’on appelait pas encore le
buzz et qui pourtant l’était déjà…Le mieux pour ce genre d’expédition
dominicale, c’est encore le sac à dos ou tout du moins, celui qu’on peut porter
en bandoulière…
Une
citation que je n’aime pas et d’un auteur que je n’ai pas lu. Laissons tomber
et d’autant plus le titre de cet agenda là. Son
sous-titre plutôt, substitué à l’autre au moment de la mise au propre, propice
à toutes les transmutations. La seconde version sait ce qu’elle doit à la
première, ce qui ne l’empêche pas d’exercer toute sa liberté.
Lundi
Premier Août : Lecture en diagonale d’un livre bâclé par un journaliste.
Avec le développement des moyens électroniques, l’affutage des techniques de
mercatique moderne, tout cela dans le cadre d’une économie financière devenue
folle furieuse d’avoir l’œil constamment rivé sur le niveau de rentabilité et
de dividendes distribués a accéléré la fabrication rapide de produits qui ont peu
à peu remplacé les objets en perdant de vue leur fonction, une contrainte
gênant la liberté d’entreprendre.
Cela
est apparu bientôt comme une rigidité à laquelle il fallait mettre fin si on
voulait être moderne, ce qui n’était pas négociable. Ainsi a-t-on peu à peu été
envahi par des livres qui n’en étaient plus. L’adaptation à cette nouvelle
réalité consistant à les utiliser comme des magazines servant à meubler un
moment. Et après tout en vacances, il n’est pas malséant de se laisser vivre. A
l’âge que j’ai, ce n’est pas si grave, l’essentiel est déjà fait !...
Etant donné l’état d’épuisement dans lequel je suis, cela peut même être
considéré comme une activité positive.
Le
Mardi, j’enchaîne distraitement sur celui de Bruno Cremer
que je crois être de la même veine. Je me souviens surtout de lui en 1975,
interprétant Lucien Sampaix dans le film de
Costa-Gavras Section spéciale. Loin
de ces livres écrits au magnétophone, c’est au contraire un ouvrage plein
d’intérêt. Cet acteur méritait une carrière qu’il n’a pas vraiment eue. Il
n’est pas le seul !
3
Août : Au château de Saint-Izaire – au bord du Dourdou que j’aime tant parce qu’il exprime la douleur et
l’espérance du monde - le livre d’or sur lequel j’écris simplement et
directement mon émotion. Toutefois j’évite d’y écrire que cette rivière sans
prétention me rappelle furieusement la Yougoslavie. Quant à parler des Balkans
cela n’irait pas non plus. C’est la Yougoslavie que j’ai aimée. Et la
différence en a été acté par cette modernisation du
proverbe inventée par une jeune femme de ma connaissance : Noël aux Balkans, Pâques en Iran. On
dira que c’est un peu élitiste, ce qui n’est pas faux, mais il n’est pas non
plus forcément donné à tout le monde de comprendre en temps réel - c'est-à-dire
paradoxalement instantanément - les bouleversements du monde à l’œuvre.
Le
4 : La mise en ordre continue. Cette fois ci, elle concerne la littérature
pour la jeunesse. Il y déjà plusieurs années - n’ayant plus de destinatrice en
âge d’en faire son profit - je l’avais globalement regroupée dans la grande
malle noire de la chambre bleue. Une malle de colporteur achetée chez Emmaüs.
Laquelle servait même carrément de meuble comme de l’autre côté du lit, celle
de corsaire couverte de peau de sanglier au poil raide avait un couvercle
bombé. C’était même leurs visibles différences qui m’avait amenée à étudier les
variétés de ces objets pas nécessairement d’un usage courant.
Celle
du corsaire avait fait partie de mes tous premiers achats en salle des ventes à
l’automne 1971 à une époque où elles n’étaient pas encore à la mode. Elle avait
été vendue pour rien dans celle de Soissons au bord de l’Aisne. Elle contenait
pour le prix de ce rien une photogravure de la firme Goupil représentant Milton aveugle dictant le Paradis Perdu à
ses filles dans un encadrement noir avec des restes dorés, un grand plat
rond et quatre assiettes assorties d’un service de table vieillot et charmant
ainsi qu’un pot de confiture rustique en verre épais. Tout cela avait fini par
croitre et multiplier.
Non
seulement j’avais dans les brocantes reconstitué pièce par pièce la totalité du
service Marie Louise de la fabrique de Saint Amand des Eaux mais avait réussi à
le dater et à signaler son existence à la conservatrice du musée qui m’avait à
la main répondu d’en prendre grand soin eu égard à son caractère précieux.
J’avais
également découvert que le gendre Goupil avait en prenant appui sur les
nouveautés techniques, développé l’atelier de son beau père
en inventant l’imagerie industrielle et que le cadre noir déglingué était
Second Empire. Je n’avais néanmoins pas été jusqu’à me dire que cette couleur
noire à la mode à l’époque renvoyait à la Révolution Industrielle, au charbon,
au fer, au rail et à ce qu’on n’appelait pas encore la pollution. Creusant encore
un peu plus la question j’avais appris que cette œuvre datant de 1878 était une
reproduction d’un tableau de Munkacsy.
Vendredi
5 : Installée sur la cheminée du salon qui leur sert de chambre lorsqu’ils
sont avec nous, à portée de main, une bibliothèque spécialement à l’intention
des petits enfants. Il y a bien sûr à gogo les livres de la Bibliothèque Rose
et de la Bibliothèque Verte. Je reconnais certains titres qui m’évoquent encore
quelque chose. Mais force est d’admettre qu’ils ont tout de même perdu une
partie de leur charme dans leur version modernisée de couvertures colorées et
glacées.
A
la limite la magie n’opère plus. Je n’ose pas être déçue. Il serait de bien
mauvais goût de refuser les améliorations en faveur des plus jeunes. J’avais bien
décidé dans mon adolescence de traiter correctement ma future progéniture. Leur
donner le meilleur en faisait partie. Même en ce qui concerne les couvertures
de la Bibliothèque Rose et de la Verte qui avaient enchanté mon enfance. J’ai
d’ailleurs eu raison. C’est ce que j’entrevois en filigrane en lisant ce chef
d’œuvre dont le titre m’a depuis longtemps frappée : Le crime des
justes.
Samedi :
Je termine ce livre d’André Chamson qui me fait une forte impression. Publié en
1931, j’y vois à tort ou à raison l’annonce de la montée des périls. Si on se
penche sur le sens du mot inceste, on
découvre qu’autrefois il avait un sens beaucoup plus général et du coup tout
s’éclaire. Il s’agit alors d’une souillure généralisée. Sans doute ce que l’une
de mes amies appelait la confusion.
En tous cas, l’absence de tous repères anthropologiques. L’abandon de toutes
les règles et toutes les structurations. L’absence de tabou dont se vante
ingénument l’ultra modernité qui sans toute ignore tout de Lao Tsé disant Celui qui préfère le vice à la vertu est un
néophyte dans le vice et dans la vertu.
Il
faut le vivre pour le croire et pourtant cela est. C’est ! L’Incestus latin signifie bien sacrilège mais quel sens cela peut il avoir pour qui n’a aucune idée du sacré ?
Comment s’étonner alors de la germination du pire ?… Et en effet il a bien
suivi la relative prophétie d’André Chamson…
Dimanche
à la brocante de Saint Jean de Bruel un stand de livres. Je n’ose pas dire un
bouquiniste tant il apparait que c’est un amateur qui vide son grenier… Il a
classé sa marchandise en trois catégories Eau
de rose, Policiers, Gros livres. Force m’est de reconnaître qu’en matière
de rangement - bien que je sois loin d’être une débutante - j’ai trouvé mon
maître !
Sur
la page de droite, une phrase faussement profonde, presque sans signification
comme c’est souvent le cas dans ce genre de choix. La forme seule ne peut rien
contre le fond. Je me souviens de celui qui me disait Vos formules, ce n’est pas de la pacotille. Est-ce à dire qu’il faudrait que je me décide à constituer mon
propre agenda ? L’affaire est loin d’être gagnée tant mon insertion dans
la société telle qu’elle est - notamment celles des horaires sociaux - demeure
précaire… Même au bout de toutes ces années pleines à craquer…
Lundi
8 Août 2005 : De Pasternak l’ Essai
d’autobiographie qui s’ajoute à
son Sauf conduit que j’ai déjà lu. C’est à la fois trop et pas assez. On
reste sur sa faim alors qu’il amorce quand même le débat. Sans doute par
crainte de la censure. C’est aussi une question d’époque. En se penchant plus
sérieusement sur la question, il appert que Sauf-conduit date de 1931,
alors que son Essai d’autobiographie termine son œuvre en 1958, l’année
de son prix Nobel. Année également de l’attribution au Festival de Cannes de la
Palme d’Or au fameux film soviétique Quand
passent les cigognes.
Ce
n’est pas un hasard, mais un tournant dans l’histoire de nos relations avec nos
voisins orientaux. Peut être dû au lancement l’année
précédente du premier satellite artificiel s’arrachant à l’attraction terrestre
par cette réputée grande puissance qui ne l’était pourtant pas autant qu’on
avait pu le croire – ou plutôt qu’on nous l’avait fait croire – comme la suite
l’a montré.
Le
9 : D’Alphonse Boudard - que je lis depuis
longtemps - Les grands criminels. Ses deux premiers livres La cerise et
L’hôpital étaient de véritables chefs d’œuvre puis le succès en a fait
un écrivain professionnel, ce qui n’est pas toujours sans danger ! Je l’ai
découvert dans une grande surface de province, témoignage à verser au dossier
de la démocratisation culturelle.
Un
prêté pour un rendu, je l’ai signalé à une amie professeure qui l’a enseigné
dans ses classes et l’a même invité à y intervenir. Je le tiens pour un maître
de la langue française et de la littérature au motif qu’il a décrit l’ambiance
des salles communes de l’hôpital par la simple formule Ca calenchait par ci par là ! Difficile de faire mieux. Nos
petits maîtres de Centre Ville ont encore du pain sur
la planche…
Mercredi
10 : De Georges Perec, encore un chef d’œuvre - absolu celui là – Quel
petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? ayant
relevé avec succès dans cet ouvrage, le challenge absolu de ne pas parler de la
Guerre d’Algérie, pour en fait ne parler que de cela. Plus qu’un cas d’école,
sans doute un cas unique. Mais le 10 Août 2005, les livres du jour sont aussi
celui de Virginie Wolf et de Marie Chaix.
Le
11 : A la villégiature d’été, débat sur le réaménagement éventuel de la
bibliothèque. Installation d’un nouveau local.
Vendredi
12 : Virginia Wolf m’ennuie, même si elle a tout à fait raison dans ce
qu’elle dit. Notamment dans Une chambre à soi ! Peut-être n’est ce
qu’une question de style, voire même de traduction. Cela m’est déjà arrivé avec
d’autres auteurs comme Kafka ou Boulgakov. Je me réserve pour Les lauriers
du lac de Constance de Marie Chaix. Le chef d’œuvre de l’exploration d’un
angle mort non seulement de notre histoire, mais de la société française. On en
est saisi.
Samedi
et dimanche du retour. Des livres rapportés du Rouergue et que faute de place
je dépose à la campagne… Cela peut apparaitre une politique de Gribouille. Je
ne le nie pas mais je suis bien placée pour savoir que de Gribouille en
Gribouille, les choses finissent quand même par s’éclaircir. La méthode n’est
pas sans rapport avec la logique de l’homéopathie. La clé du succès est elle de ne prendre en compte que ce qui peut être
assimilé sans gaspiller l’électricité de l’activité dans des antagonismes sans
issue ? Après tout c’est aussi le principe de la non-violence qui colle au
terrain.
Sur
la page de droite du Paul Celan complètement hermétique. Je n’ai jamais réussi
à savoir - même en m’en ouvrant à un autrui censé être compétent – si c’était
là aussi une question de langue ou bien si sa renommée était surfaite à cause
de son histoire. Je n’ai même pas pu élucider la question de la qualité de la
traduction car le livre que j’avais prêté pour l’expertise m’a purement et
simplement été volé. Je ne suis pas sûre que les adverbes purement et
simplement soient là pertinents.
Le
15 Août 2005 : Jour de la mort de mon père. Sa vie est écrite, reste à
faire le livre.
Mardi :
Je songe au Livre des Morts égyptien. Mais en fait c’est
inapproprié car le décès de notre géniteur tourne à la farce. On frise le
scandale.
Mercredi :
En plein délire, quelqu’une menace de transformer la vie en livre de comptes.
Le
18 Août : La lecture de la revue Les
Moments Littéraires comme un grand soulagement. Miracle de la littérature,
cet art subtil de la survie…
Dans
la série des Horizons Aquitains, la lecture d’une entrevue
dont je connais l’auteur : Observer
n’est pas jouer.
Dans
Les Moments Littéraires N°14,
la lecture du texte de Marie.Hélène Lafon. Comme toujours dans cette revue, une heureuse
surprise.
Dimanche
en allant et revenant de la piscine, toujours Les Moments Littéraires.
Edmond
Jabès encore sur la page de droite. Je crois l’avoir complètement assimilé et
même dans cette catégorie de pensée qui m’est depuis longtemps familière, en
avoir rajouté.
Lundi :
Pas de livre aujourd’hui, il n’y a pas de place pour eux. Les vêtements de mon
père mort occupent toute la place. Il me faut pour eux trouver le meilleur
destin. Cela requiert la mobilisation non seulement de l’intelligence et de la
sensibilité mais aussi de la capacité d’innover. Ce constructivisme du progrès
métaphysique n’est pas donné à tout le monde, je l’admets. Pas à moi non plus
d’ailleurs. Toute mon éducation s’y opposait et il m’a fallu un bon moment pour
inventer cette pratique et l’appliquer non seulement à mes propres affaires
mais aussi à la vie domestique.
Mardi
23 Août : Vissortsky acheté au Marché de la
Poésie. De l’avoir entendu chanter ses propres textes absolument déchirants. A
l’écouter, on a envie de parler russe. Ce n’est pas d’aujourd’hui. C’est
l’inverse. C’est parce que j’aime tant la langue russe que j’aime Vissortsky. En fait ce n’est pas séparable. C’est sans
doute ce qu’on appelle l’âme russe. Je dois hélas me contenter de l’esprit
français. Comment s’étonner que je sois tout le temps malade ?
24
Août : L’annonce des six cents soixante trois
romans de la Rentrée Littéraire. Comment croire qu’il y ait autant
d’écrivains ?... Qu’il y a ou qu’il y aurait ? Aucune possibilité de
tirer au clair cette affaire, car qu’appelle-ton exactement un écrivain ?
Quelqu’un qui peut mourir de ne pas écrire ?
Le
25 : Je découvre dans ma bagnole deux livres interlopes dont j’ignore la
provenance. Evitons l’enquête, se serait une faute de
goût. L’argot suffit à signaler qu’on a changé de registre. Glissons !
Vendredi
26 : A pleine page dans toute la presse, l’orchestration de la sortie
imminente du dernier livre de Houellebecq. Voilà une affaire qui marche. De
toutes façons ce n’est ni le génie que certains essaient de nous vendre ni la
nullité que les autres s’acharnent à démolir. Qui donc disait Le gouffre de l’Histoire est assez grand
pour tout le monde… Bien que cela ne soit pas vrai, faisons comme si il y
avait de la place pour tout le monde. C’est une question d’hygiène mentale, de
morale, et de générosité.
Samedi :
Stupéfaction d’entendre Frédéric Mitterrand interviewer Pascal Bruckner au
sujet de son livre Pour l’amour du prochain
apologie de la prostitution des gigolos par un énarque.
Dimanche
28 Août : L’un de mes recueils de chansons folkloriques entonnées à tue tête pour tenter de revivre. Un recueil de chanson peut il être considéré comme un livre ? C’est l’avenir
qui le dira ! Je verse au dossier le rôle des chants dans la résistance
des Pays Baltes à leur écrasement. Auprès
de ma blonde, A la claire fontaine, et Quand
le marin revient de guerre peuvent ils ranimer la
société française dans le plus total coaltar ?
Avec des mots, un homme
peut rendre son semblable heureux ou le pousser au désespoir. Sigmund Freud. Bien vu,
bien dit, on nous l’apprenait déjà à l’Ecole Communale pendant les quotidiens
cours de morale qui me servent encore de boussole dans la tempête
contemporaine.
Lundi
29 : Dans une pièce classique, on l’appellerait mon confident, nom de code
de l’interlocuteur intime. Pour y chercher une référence, il a posé sur la
table du bistrot, un livre de ou sur Benoit XVI. Dans son discours, c’est tout
un !
Mardi,
je tente de reprendre le livre d’Applefeld, mais il y
faudrait pour poursuivre dans cette tache, une sérénité
que je n’ai pas.
Mercredi :
De nouveau le livre s’estompe dans la terreur qui croît à nouveau. Du verbe
croitre et non croire…
Jeudi
Premier Septembre : L’ambiance est si détestable qu’il n’est même plus
possible du tout de lire. Cela empêche de croire que comme disent certains, la
lecture est le remède à tous les maux. Malheureusement bien qu’elle m’ait sauvé
la vie, je sais néanmoins qu’elle n’est pas l’universelle panacée.
Vendredi :
Les velléités de rangement de la bibliothèque s’enlisent. C’est qu’il n’est pas
si simple de détecter dans le chaos d’aujourd’hui, les lignes de forces de
l’ordre nouveau en train d’émerger… Or le rangement a pour but de permettre de
retrouver ce qu’on cherche parce qu’on en a besoin. L’Ecole Communale nous
l’avait sérieusement enseigné : Une
place pour chaque chose, chaque chose à sa place. Grâce à cela non
seulement je retrouve ce que je recherche, mais je n’ai jamais rien perdu.
Petit bénéfice secondaire : Ma mère qui me traitait de souillon n’avait
pas raison.
Samedi :
Dans la chambre de campagne, tout de même une petite bibliothèque dans le
meuble art nouveau qui était celui de ma belle mère
lorsqu’elle était jeune fille. J’ai longtemps caressé le projet de le restaurer
mais je crois que le moment en est passé. Cela me crève le cœur. Mais sauver ce
qui peut l’être est le B.A. de la gestion quotidienne en période de cataclysme.
Cela implique nécessairement de faire des choix. Et comme disait l’une de nos
comparses de mon association de poésie On
n’a pas toujours le choix, mais il y a toujours des choix. Même et surtout
lorsqu’on n’est pas dans une position dominante, ce qui pour le meilleur et
pour le pire s’applique à mon cas.
Dimanche
je reçois une nouvelle traduction du Devisement
du monde de Marco Polo par Kosta-Théfaine.
Depuis des décennies ce terme de devisement ne
cesse de me fasciner à cause de la multitude de portes qu’il ouvre.
Une
citation hermétique que la fatigue et le découragement me poussent à laisser
tomber. Ainsi entre en désuétude des choses, des lieux et des auteurs sans même
qu’on en ait vraiment conscience. Quant aux gens et aux évènements, c’est le
processus même de l’oubli. C’est aussi ainsi qu’on se perd, ne concentrant peu
à peu plus son énergie que sur l’essentiel. Faire autrement requiert une force
de la nature et une vigilance contre nature. C’est dans ce paradoxe que
racinent les œuvres irrécupérables.
Je rêve un moment que les poèmes inspirés par la mort de mon père soient assez nombreux pour pouvoir constituer un recueil correctement édité. Cette expression recouvrant la publication sur papier. Je ne méprise pas l’électronique – loin de là – mais il y a dans l’objet papier une sensualité qui fait peut être partie de la lecture elle-même, du moins en ce qui concerne la littérature au long cours.
Le
choix de quelques livres à donner de nouveau à Alexandre pour désengorger
encore un peu plus la bibliothèque dont Un monde de pierre et Les
mémoires d’un lion. Si je retrouve grosso modo ce que pouvait bien être ce monde de pierre et le genre d’auteur de
ce témoignage, il n’en est pas de même de cette histoire de lion qui ne m’a
laissée aucune trace.
Dans
la salle d’attente du médecin du Faubourg Poissonnière, un exemplaire du
magazine Lire. On y parle de livres, c’est déjà cela ! Même si c’est un peu
conformiste, on arrive tout de même à y trouver des ouvertures sur des secteurs
dont jusque là on ignorait tout. Ce n’est pas si mal…
Jeudi
8 : Mon recueil de nouvelles Grand choix de couteaux à l’intérieur dont
je fais cadeau à l’Eliane retrouvée après plus de quarante
cinq ans d’absence lors desquelles j’ai bien souvent pensé à elle.
Le
9 Septembre : Rencontre avec cette autre amie du lycée de ma classe de
Mathématiques Elémentaires. Ce jour là, les livres en
question sont les miens, tous ceux dont je ne peux pas parler. Elle me piétine
allègrement, me reprochant – eu égard à mon poids - de manger un gâteau. Elle
piétine ma personne et ma pensée, mais elle n’ose pas s’attaquer à mon œuvre.
Je le constate avec une certaine satisfaction. Néanmoins à la limite, la
rencontre est sans objet. J’entrevois qu’elle ne se reproduira pas. Tous les
fleuves vont à la mer. Toutes les relations ont elle une fin ?
Le
10 : Le palmarès des ventes de livres, publié dans le magazine Le Nouvel Observateur. S’y dessine en filigrane
la nature du monde qui vient. Ce n’est pas d’aujourd’hui, mais il semble qu’on
ait atteint un point de non-retour. Le montant des ventes est désormais devenu
le critère d’appréciation des publications. Après tout pourquoi pas, au moins
c’est clair !
Dimanche,
la décision tragique de liquider ma bibliothèque pour alléger le fardeau. Je n’en reviens pas !...
Et pourtant depuis le début de cet agenda, il ne parle que de cela. L’idée
n’est pas venue d’un seul coup, mais elle a cristallisé brutalement.
Louis
Aragon : Il ne savait pas ce qu’il
allait dire, c’est de le dire qui le lui a fait dire. C’est tout à fait
cela et c’est ce que j’ai autrefois expliqué en commentant le néologisme
inventé par André Chouraqui qui - nouveau traducteur
de la Bible - proposa pour son premier mot Entête
en remplacement du traditionnel Au
commencement. La pensée à l’état naissant, c’est la parole !
Lundi.
C’est dans L’exégèse des lieux communs de Léon Bloy que je trouve
l’explication de la gueule d’enfer de certains cohéritiers. Dans la rubrique On dirait qu’il dort. Celle qui renvoie
à la mort.
13
Septembre : J’ai enfin terminé le livre d’Applefeld.
Ce n’est pas un livre ordinaire, il faut le lire comme une encyclopédie. Ce
n’est pas le cas de tous les récits, mais plus souvent qu’on ne le croit. A
commencer par les récits des navigateurs, ces prédécesseurs des anthropologues,
comme tous ceux qui racontèrent sincèrement leurs voyages à ceux qui étaient
restés. La science est plus vieille qu’on ne croit. Les Lumières ne sont pas
nées armées tout d’un coup de la cuisse de Jupiter, ni même de la tête casquée
de Minerve sa fille pas préférée du tout… Elles le sauraient si elles étaient
moins prétentieuses et un peu plus observatrices. Les deux vont d’ailleurs peut
être ensemble.
Nouveau
transfert le 14 du même mois, en faveur d’Alexandre. Je forme le projet de
continuer l’opération d’une pleine valise au bénéfice de ma progéniture…
L’opération prend de l’ampleur. Il y a anguille sous roche.
Jeudi
15 : Faute de place hélas, le nouveau délestage en faveur de la plus
chère. Plus jeune que moi, elle est nécessairement moins encombrée. Dans mon
enfance comme nous allions en visite chez les amis de mon père, je me demandais
toujours pourquoi ils avaient eu la mauvaise idée d’installer des bibliothèques
dans les couloirs qu’ainsi ils rétrécissaient. Personne n’avait pensé à me
l’expliquer. Sans doute ceux qui avaient le gouvernement de mon éducation ne s’étaient ils jamais posé ce genre de question. Et puis
gouverner une éducation n’est pas gouverner l’instruction. Cela n’a peut être même rien à voir. On peut même se demander en ce
qui concerne les filles si ce n’est pas antagoniste !... A l’époque cela
l’était et rien ne prouve que cela ait radicalement changé.
Nouveau
tour des différentes étagères le 16 pour voir si je ne peux pas me débarrasser
d’un ou deux ouvrages supplémentaires. Et c’est en effet bien le cas. Il s’agit
cette fois d’une certaine Madame de Staël que je transmets donc à qui de droit.
Samedi
17 Septembre : Acheté sur le titre Les yeux de mon père – comme
souvent - chez un bouquiniste, lecture enfin du livre publié en 1992 par POL.
De Marc Le Bot. Je l’avais conservé pendant plusieurs années dans l’attente que
survienne le moment adéquat. Comme on stocke des provisions d’épicerie à
l’annonce de troubles sociaux, voire de guerre puisque non seulement elle est
redevenue possible, mais le fond de l’air. J’y suis ! C’est la perte de
mon géniteur. Celui qui m’a mis le pied à l’étrier. La genèse dans toute la
force du mot. Il m’en a appris la puissance en me répétant à tort et à travers
la blague J’ai vu le couvreur, il m’a
parlé de vous.
Dimanche :
Il m’est de plus en plus difficile de lire et j’entrevois que cela va cesser.
Ou au moins pourrait bien cesser tout à fait. Ce n’est pas en vain qu’on a
peaufiné la grammaire grâce aux temps des conjugaisons. Un vrai trésor !
Mais je ne m’affole pas, je connais trop la musique. Lorsque je cesse de lire,
c’est qu’un livre à moi va surgir et qu’il est alors en gestation.
Sous
la plume de Gérard de Nerval, une phrase que je ne peux que contresigner. Retrouvons la lettre perdue ou le signe
effacé, recomposons la gamme dissonante et nous prendrons force dans le monde
des esprits. Sur la page de droite de l’agenda de 2005 mon commentaire est
lapidaire en dépit du fait que le maquettiste a pourtant laissé plusieurs
lignes disponibles. Cette fois j’ai écris en
majuscule ET COMMENT ! La majuscule étant chez moi une sorte de
contreseing de ce qui demeure dans le monde à venir. Demeure ou doit demeurer ?
Ce n’est pas tout à fait la même chose… C’est à la mise au propre de cet agenda
une décennie après que je commence à m’en apercevoir.
Lundi :
Il y a bien en effet l’émergence d’un livre. C’est l’informatique qui en a
permis la naissance. Un titre s’impose. Celui lu sur l’un des bâtiment du Jardin des Plantes que j’ai depuis toujours aimé
fréquenter à cause de sa recherche architecturale La galerie des reptiles
est fermée à l’heure du déjeuner. Quelle promesse de soulagement dans un
monde tout entier adonné à la grande dévoration !
20,
21, 22 Septembre: Je tente de me tenir au livre que j’ai commencé. Je l’ai dans
mon sac à main et l’emporte dans les transports. Ce n’est pas pour cela qu’il
sera effectivement lu, mais du moins, grâce à cette procédure, il augmente ses
chances. Procédure, procédé ou protocole ? Ce triangle méthodique serait il la base de l’action dans la société
d’aujourd’hui ?
Le
vendredi je décide de ne pas le conserver. C’était prévisible étant donné le
temps qu’il est resté à traîner. Comme je le fais souvent je le remets
gratuitement dans le circuit collectif. J’ai ainsi pris depuis longtemps
l’habitude de déposer ceux que j’estime surnuméraires sous les abris d’autobus
ou encore plus simplement et de façon plus sécurisée, de les laisser dans les
véhicules.
L’idée
m’était venue d’avoir oublié dans l’un d’eux, un des tomes du journal de
Montherlant auquel je tenais beaucoup – sans doute Aux fontaines du désir
– et d’avoir eu la stupéfaction en en faisant la demande en tête de ligne de constater
que les employés questionnés l’avait retrouvé mais conservé. Ils me l’avaient
d’ailleurs rendu, à regret m’avait il semblé.
Cette
fois je glisse Les yeux de mon père entre le siège et la paroi. Il n’est
pas assez prenant pour que je le conserve, et à quoi bon l’emporter à la
campagne qu’il faudra sans doute bientôt débarrasser, puisqu’il n’est plus temps. Au sens que
donne l’Apocalypse de Saint Jean à cette locution, à savoir le dépassement
historique d’une époque, sa clôture et partant de ce constat, du mode de vie
qui lui a été ponctuellement associé.
Samedi
24 Septembre : La satisfaction de mes boites à et de livres qui me
permettent de prendre et de rendre compte de mes préoccupations d’aujourd’hui.
Ainsi je peux ranger ensemble Marguerite Duras et Nathalie Sarraute qu’un
classement alphabétique aurait irrémédiablement et à tort, séparées. Retrouver
ce que l’on cherche à travers une pareille construction n’est peut être pas très facile. Il reste à comprendre que la
lecture, cela se mérite et que c’est un élément de l’acte de lecture
lui-même !
A
savoir, aller rechercher dans des lieux invraisemblables de soi et des autres
des intuitions enfouies dont les évènements présents révèlent d’une façon ou
d’une autre, brutalement, par à-coups, ou progressivement que non seulement on
était sur la bonne piste, mais mieux encore qu’on savait déjà tout à fait ce
dont il était question.
Dimanche :
Le trésor de mes rangements appliqué à Mourir à Vukovar. Ce terme à lui
seul me bouleverse intégralement. Comme je persiste à me souvenir de la nuit
passée chez un habitant de Mostar qui nous avait loué une chambre de son très
modeste logis. Absolument sidéré, il nous avait regardé
nous laver les dents au dessus de l’évier de sa toute
petite cuisine. J’y pense encore.
Le plomb lui est rigide. C’est ainsi qu’un
certain Pierre Faucheux fait l’apologie du système traditionnel d’imprimerie
par opposition à la photocomposition dont il n’attend semble
t-il rien de bon. Je trouve qu’il exagère quand même un peu. Le progrès
technique réserve parfois - voire souvent - d’agréables surprises. Néanmoins il
me faut la mise au propre de cet agenda et la lecture d’Internet pour découvrir
qui est ce monsieur dont je n’ai jamais entendu parler…
Au
cours de cette recherche qui n’est peut être pas
d’utilité publique – encore que - j’apprends qu’il a révolutionné le graphisme
français et pour le meilleur. Notamment en ce qui concerne le livre de poche.
Du coup je lui pardonne ses excès de langage contre la photocomposition, excès
de langage que j’ai censuré dans la version finale du texte, autant par décence
que par paresse car il faut bien le dire, désormais dans ma soixante dixième
année, je commence à fatiguer. Ce n’est pas mal séant et d’autant moins
lorsqu’on a compris ce qu’avait d’obscène cette injonction publicitaire pour
les vieux, de rester jeunes et en forme à moins de relever ipso facto d’un coup
de pouce pour une fin dans la dignité.
Lundi :
Boulevard de Grenelle en allant chez l’ostéopathe, des livres dans les boîtes
d’un bouquiniste !... Habituellement je les fréquente ! Si on n’y
trouve pas toujours les trésors qui bouleversent la vie et laissent un souvenir
immarcescible, il y a toujours du grain à moudre ou au moins du foin à mettre
dans le râtelier. Mais cette fois, cette activité là
n’est pas à l’ordre du jour, le voyage dans cet autre côté de la ville n’étant
déjà pas complètement anodin et je ne suis pas en situation – eu égard à ma
dégradation physique - de me disperser. Je crois d’ailleurs ne l’avoir jamais
fait ayant toujours vécu dans une sorte d’état d’urgence de la nécessité.
Mardi
27 Septembre : En quête d’un contenant adéquat pour y ranger mes livres
courants. Entendons par là mes propres livres- ceux dont je suis l’auteure -
puisqu’il faut bien admettre que c’est la situation réelle. Les livres de celle
qui s’est pour elle-même nommée Jeanne Hyvrard choisissant ainsi ce que
certains critiques ont conceptualisé en mère
adoptée ou diagonale, je ne me souviens plus exactement.
Le
28 : Les trois Pléiade(s) de Stendhal que je déballe de leur cellophane
pour les abriter faute de mieux dans une sacoche en plastique. Je n’ai pas
toujours sous la main les boîtes nécessaires. Je ne les ai même jamais, car dès
que la vie quotidienne m’en procure une, je lui trouve quasiment séance
tenante, une affectation.
La
meilleure possible non seulement pour elle-même, mais pour ce qu’elle va
désormais contenir. Il n’est pas rare que de transfert en transfert, toute une
partie des rangements soient affectés par la nouvelle arrivée. On peut trouver
cela ridicule, c’est l’inverse. C’est le plus sûr moyen d’avoir un logiciel
d’action adéquat à l’époque considérée. A savoir celle du présent vécu au
présent.
Le
29 : Les manuels de langue étrangère qui réapparaissent tout à coup parce
qu’on a déplacé le bureau informatique. Je les avais rangés dans les bat-flancs
de ce meuble d’autant plus attachant qu’il fleure bon l’Administration des
années d’Après Guerre et a été acheté chez un
brocanteur de Soissons juste à côté d’une maison très aimée dont j’avais un
moment pensé pouvoir faire l’acquisition.
Le
30 Septembre : Je décide de porter à ma moniale de belle-sœur, un livre
sur les jeunes Saints de Vendée. Me l’avait donné un vieux pépé rencontré lors
de ma croisière sur la Volga l’été 2000. Je ressemblais m’avait il dit - en compagnie de sa femme - à leur fille morte. J’avais
été saisie de ce hasard non seulement des voyages, mais finalement de la vie
même. C’est sans doute pour cela que j’ai attribué le livre au monastère où
pour raison familiale, nous avons nos habitudes.
Samedi :
Jour traditionnel de la visite des familles au couvent, la joie de la visitée
nous faisant la démonstration d’un livre d’enfant qui se déplie. Joie
partagée ! Il ne faut pas négliger les petits bonheurs. Entassés les uns
sur les autres, ils finissent par rendre la vie sinon acceptable, du moins
vivable. Ce n’est déjà pas si mal pour une aventure qu’on ne saurait en aucun
cas dire contre nature – la preuve étant faite par elle-même – mais au bas mot
mystérieuse, violente étrange et surtout paradoxale.
Dimanche :
Je ne sais pas quoi faire de ces livres concernant les langues étrangères. Cela
paralyse la suite de mes rangements. Et impossible de les remettre là où ils
étaient. Cela ne correspond plus à la situation et l’espace est désormais
occupé par autre chose. La question des langues étrangères n’a jamais pu être
maîtrisée.
J’ai
toujours dit qu’ayant eu tout ce mal avec ma propre langue maternelle, il n’y
avait jamais eu de place pour autre chose. C’est surtout qu’à l’intérieur du
Français il y a déjà plusieurs langues, outre celle de mon père et celle de ma
mère, celle de l’Ecole, celle des mancêtres, celle de l’Administration et je ne dis rien de la
littérature qui a elle seule en abrite déjà une foultitude. C’est son principe
même. Ce qui me contrarie dans les langues étrangères, c’est lorsqu’il devient
obligatoire de les parler. De paradis potentiels, elles s’avèrent alors des
Chevaux de Troie dont du coup, il faut se défendre.
Sur
la page de droite du carnet, qui revient récurrente chaque semaine, une
citation poussive dans laquelle un auteur inconnu compare les livres de petits
formats à des bécasses. Je ne suis
pas convaincue de la pertinence de cette métaphore considérant les livres comme
des oiseaux, il y a bien longtemps que moi-même, j’en use. Je crois même avoir écris quelques poèmes autour de ce thème. Mais les bécasses
pourquoi ?
Lundi :
Le désespoir d’acquérir pour dix euros six livres Place Pereire chez un
bouquiniste alors que je n’ai réussi samedi à me débarrasser que d’un seul. Je
ne suis pas prête d’en finir avec le rangement de la bibliothèque! Je ne suis
même pas sûre que la rédaction de ce texte ait d’un iota fait avancer la
question en dehors de la nécessité d’acter publiquement ce geste qui par
certain aspect peut être considéré comme contre nature. Une transgression. Je
l’ai souvent expliqué, socialement celle ci n’est
acceptée que lorsqu’elle est victorieuse.
Mardi
4 Octobre : Villa Jasmin. Inattendu !
5
Octobre : Dans le bus à l’aller comme au retour pour me rendre chez
l’acupuncteur, encore la lecture de Villa Jasmin de Serge Moati.
Les
6, 7, 8 : Toujours avec Villa Jasmin dans lequel il y a de vrais
bonheurs d’écriture mais dans un tissu de texte un peu trop lâche. Je pense un
moment donner le livre à Florence puis le range dans la petite bibliothèque de
campagne.
Dimanche :
Protection de quelques uns de mes livres d’art dans
les pochettes en plastique récupérés de mes achats de draps en lin.
L’association de ces deux éléments évoquent
irrésistiblement le surréalisme d’Isidore Ducasse évoquant la fameuse rencontre d’une machine à coudre
et d’un parapluie, sur une
table d’opération.
D’autant
plus que je ne suis pas persuadée et de loin que l’emballage plastique – même
transparent – soit l’oméga de la conservation des livres. Depuis presque
toujours je connais un homme qui fait la guerre au plastique. Il y a cinquante
ans lorsque je l’ai rencontré, j’en avais été d’autant plus choquée que ma mère
tenait cette matière pour le comble du progrès technique, mais avec
l’expérience, force a bien été de constater que c’est bien lui qui au finish,
avait raison !
Un livre est un objet
qui devrait être goûté ou jugé dans un isolement de nomade, comme un témoignage
perdu, une bouteille à la mer, un fragment d’humanité sans nom, en dehors du
temps, du lieu, de la personne. Signé Pierre Drieu de
la Rochelle. Je suis d’accord avec
lui, mais j’ai du mal à me faire entendre. A cette aune on découvrirait que
quoique ratés, ses livres à lui, ne sont pas si mal. Je me suis longtemps
demandé pourquoi ce ratage était chez lui quasiment systématique, et j’ai fini
par trouver que c’était par goût de la mort ou plutôt de l’anéantissement. Ce
n’est pas tout à fait la même chose. La mort n’est pas toujours un
anéantissement. Ne peuvent l’admettre que ceux qui ne sont pas à un paradoxe
près et qui ont de surcroît réfléchi à la question.
Lundi :
Avec l’ostéopathe qui essaie de rétablir le fonctionnement rationnel de mon
pied et de ma cheville nous évoquons le bonheur fou d’avoir chacun de notre
côté lu dans notre jeunesse L’Astragale. Albertine Sarrazin avait là,
dès 1965 fait - par son écriture - souffler un vent de liberté qui nous avait
tous les deux, soulagés d’un milieu social par trop rigide. Du coup il n’est
pas étonnant qu’on se soit même, lui en tant que praticien et moi en tant que
sa patientèle, trouvés des similitudes dans l’art d’aborder la vie, cet
ensemble de toute sorte de luxations, cassures enchevêtrements et autres
nécessaires - quoique souvent malaisés - étirements.
11
Octobre : Contemplation enamourée de mes livres d’Art. Ni avarice ni goût
de la collection. Provision pour les temps difficiles à venir, l’isolement de
la vieillesse, il n’y a aucun doute. Aucun doute non plus sur le fait qu’on
meurt en dehors, au mieux à côté de ce qu’on avait prévu. Mais organiser au
mieux ce dernier âge de la vie permet d’en diminuer la crainte et c’est déjà
bien.
Le
12 : Dans la bibliothèque de mon compagnon depuis si longtemps, les
anomalies ne me bouleversent plus. C’est un des bénéfices de l’âge. Je ne sais
pas si c’est dommage. L’agenda manuscrit dit oui, mais à sa mise au propre dix
ans après il est bien évident que c’est non, tout au contraire.
Jeudi :
Achat du Bel Aujourd’hui, l’un des tomes du Journal de Julien
Green qui en comporte dix sept. Il y a de quoi faire.
Faisons ! Faisez ! Ou plutôt Faites !
Mais il semble que l’orthodoxie révoltée passe là à côté de quelque chose
d’essentiel. Faisons, faisez n’est pas du tout la
même chose que faisons, faîtes ! C’est la victoire de la littérature sur
l’Académie.
Vendredi
14 : Lecture du Bel aujourd’hui, pour moi un vrai trésor ! Et
faute de lumière, avec une lampe de poche dans les WC. Sans doute pour ne pas réveiller
la personne qui dort dans la grande pièce. Difficile de pousser plus loin
l’amour du texte et le respect de l’hospitalité. Les deux ne sont pas sans
rapport. Se donner à la lecture d’un texte ressemble à l’hospitalité accordée à
l’auteur.
Samedi :
Je poursuis cette lecture. L’auteur décrit remarquablement bien les affres de
la création.
Dimanche
16 Octobre : Le soulagement du livre qui s’achève. Cette fois c’est d’un
des miens qu’il s’agit La galerie des reptiles est fermée à l’heure du
déjeuner. Tout entier construit comme un système optique autour d’une
exhibition masquant un objet caché. Le fétiche contrepoids de la
monstration !
Une
citation absconse de Thierry Metz. Je la laisse de côté pour ne pas me
compliquer une tâche que j’ai déjà du mal à remplir. Il est vrai que j’ai
retrouvé ce petit agenda que j’avais perdu de vue et que c’est une conversation
avec un revuiste au Salon des Blancs Manteaux qui a décidé sa mise au propre
dix ans après. Auparavant je n’y aurais jamais pensé, la matière m’ayant
semblée lors de son premier rangement dans le sac en cuir noir qui me tient
lieu de tiroir, franchement insuffisante voire carrément répétitive.
Mais
ne nous méprenons pas. La mise au propre a comme fonction - dans ce cas là - de
me débarrasser effectivement de l’agenda en question. Ce que j’ai bien entendu
exécuté dès la toute première transcription achevée. Au risque assumé de ne pas
pouvoir même en cas de besoin procéder - en le
consultant - à des vérifications ou à la recherche de complément d’informations.
Peut-être n’y a-t-il de création que si on accepte de
sauter dans le vide. Un vide tout relatif dans l’exemple considéré. Ou plutôt
exactement la création est en elle-même un saut dans le vide, ce n’est pas tout
à fait la même chose…
Lundi
sans conviction, nettoyage d’un petit bout de ma bibliothèque.
18
Octobre : La découverte étonnée du sens profond et caché du titre de mon
dernier livre La galerie etc … Les reptiles en
question sont ceux de la tête de Méduse dont chacun sait bien que c’est Persée
qui en vint à bout, marchant vers elle à reculons, après avoir pris soin d’user
de l’avers de son bouclier comme d’un miroir, échappant ainsi - si on ose ce
néologisme nécessaire - à la médusation. Si on
ajoute que c’est du sang de ce monstre qu’est né Pégase, le cheval sur lequel
le héros parvient à s’enfuir, on comprend aisément qu’il s’agit là d’une
métaphore de la création artistique qu’on peut du coup définir comme l’action
d’échapper à la médusation.
Et de fait c’est bien cela. Sans fascination, pas de création mais à condition
tout de même de parvenir à s’en arracher…
19 :
Le bonheur de réussir à travailler de nouveau dans les transports en commun,
parce que mon livre urge.
Jeudi
20 : Julien Green pour se redresser.
Vendredi :
La déception soupçonneuse que la Maison de la Presse de l’avenue des Ternes
cherche à empêcher la diffusion du livre de Vincent Nouzille
Les empoisonneurs. Au milieu de toute une série de piles de toutes
sortes, on me dit qu’ils n’en ont reçu que deux exemplaires. Après tout, c’est peut être vrai ! Cette question des polluants imbibant
peu à peu tout l’environnement n’intéresse finalement pas nécessairement grand
monde. C’est trop abstrait et il y a d’autres priorités.
Samedi :
J’attaque dans le désordre le livre d’Olivier Todd Cartes d’identité. Le
style tranche avec ce qu’on connaît. C’est déjà cela.
Dimanche
23 Octobre : Je commence à lire Todd, dans l’ordre. La première plongée
dans le désordre est destinée à déterminer le braquet de lecture nécessaire
pour ce genre d’ouvrage. Ils ne se lisent pas tous de la même façon. Et c’est
tant mieux parce qu’il en faut pour toutes les situations. De fait le prétendu
livre de chevet est en réalité plusieurs. Et d’autant plus que la pensée est
complexe et la vie compliquée.
L’alphabet est une
source nous dit notre Victor national. Voilà un
penseur résolument démocratique. Et pourtant c’est le point de vue de la
coccinelle qui croit que le fondement du monde, ce sont les points noirs sur
fond rouge. D’une certaine façon elle a raison de le croire, mais il ne faut
pas s’y cantonner, à peine de finir par être tout à fait à côté de la plaque.
Lundi :
A la Procure, je trouve enfin le livre Les empoisonneurs. Je suis prise
de vertige en redécouvrant le gigantisme de cette librairie que je connais
pourtant !
Le
25 : Le livre d’Olivier Todd s’avère une véritable œuvre littéraire très
attachante.
Mon
alter ego rentre de province ayant lui aussi acheté Les empoisonneurs.
Nous en voici deux. Qui se ressemble
s’assemble, l’adage est bien connu mais complique un peu la rationalisation
de la gestion. On ne peut pas tout avoir ! La liberté n’a pas de prix,
mais elle a un coût.
Jeudi :
Je suis choquée qu’Olivier Todd déballe dans ses souvenirs la sexualité des
autres. C’est difficilement pardonnable ! A moins d’invoquer le psaume 130
Si tu retiens les fautes qui donc
subsistera ?
Le
28 : La question ce jour est de trouver à qui je vais bien pouvoir donner
le deuxième exemplaire des Empoisonneurs qu’on vient de me rapporter. Il
n’est pas avéré qu’il faille absolument conserver ce livre en double. Cette
façon de faire n’a de sens que dans de très rares cas. Par exemple les manuels
utilisés chacun de notre côté par mon contemporain privilégié à l’Université
avant même de nous y être rencontrés.
Ainsi
avons-nous dû garder avec nous deux fois le même volume de L’Histoire des
Institutions du malheureux Professeur Lepointe
décédé en pleine action. Si j’osais, je les exposerai ensemble dans le coin
rouge de la maison, comme les dieux lares de l’intelligentsia que nous ne
savions pas à l’époque, avoir constituée.
Mais
l’espace n’est pas extensible quelles que soient les intuitions des
pataphysiciens validées par les scientifiques eux-mêmes. Le principe de réalité
finit par s’imposer. Encore que de façon différente chez les uns et chez les
autres… Faudrait il ajouter
par les temps qui courent au principe de réalité celui de subjectivité
différent lui aussi de celui de plaisir…
Samedi
29 : Accepter de laisser de côté la question des livres et récupérer un
peu. Ménage et aménagement ne sont pas sans rapport, il y a déjà un petit
moment que je l’ai remarqué. Nettoyer, réparer, ranger sont les éléments de
base de la lutte contre la déshérence, l’un des fronts sur lesquels il n’est
pas question que je cède ne serait ce qu’un pouce
voire même simplement un iota. Le juste milieu entre l’ordre et le désordre est
l’un des piliers de l’art domestique, discipline de genre qu’il n’est pas
nécessaire de déboulonner pour interdire toute les discriminations.
L’aménagement repose sur la discrimination, c’est l’idée même de l’ordre ou de
la forme. Au choix. La forme c’est l’ordre dans la pensée complexe.
Dimanche :
Je consulte le Bottin des Editeurs. Il y a anguille sous roche...
Les paroles on ne les
dit pas, on les donne. On procède de ce qu’on a dit. Vincenzo Cardarelli. Cet optimisme dénote une profonde
méconnaissance des fonctionnements sociaux dont moi-même très naïve pourtant,
je me rends compte. C’est tout dire !
Lundi :
Le livre aujourd’hui, c’est l’Atlas offert par l’agence de voyage Arts et Vie
avec laquelle il y a trois ans s’est effectuée la visite des Pays Baltes.
Toussaint
2005 : Choisir pour le restaurant le livre le plus mince, pour qu’il
tienne dans mon sac à main. La récurrence de cette notation dans un si petit
agenda me sidère. Aucun doute j’ai vraiment terminé ma carrière professionnelle
dans un bien triste état. Le médecin voulait m’arrêter, c’est moi qui ai
refusé. Un vieil ami que j’ai connu autrefois aurait dans cette situation
répétée jusqu’à plus soif Tu l’as voulu
Georges Dandin. Il m’a fallu bien du temps pour en comprendre la
signification.
Jour
des Morts : Alexandre me dit que Le chercheur d’or de Le Clézio est au programme de sa classe de Mathématiques
Supérieures. Je reconnais bien là l’enseignement français et ne regrette pas de
l’avoir poussé à reprendre ses études. Assistant d’un collègue presqu’aveugle,
il était venu à moi parce que dans la Salle des Professeurs, au milieu du
tohu-bohu, je lisais.
Le
3 : Mon recueil de nouvelles La galerie etc
deviendra t il un livre en 2006 ?
Vendredi
4 : Lecture d’une page de L’exégèse des lieux communs de Léon Bloy.
Ce livre est une pharmacie à lui tout seul et pourrait à ce titre être
remboursé par la Sécurité Sociale. Mais où trouver le corps médical décidé à le
prescrire avec le sérieux nécessaire à la réussite de cette
thérapeutique ?
Samedi :
Je continue à vider la bibliothèque de la campagne. Témoignage paradoxal de mon
espoir de survivre. N’avoir avec moi que les affaires que je peux maîtriser pour
ne pas me créer de soucis inutiles. Est-ce ce que j’appelle Alléger le fardeau ? C’est
que les livres sont pour moi des objets sacrés dont il se trouve que j’ai
momentanément la garde et qu’il ne s’agit pas de laisser à l’abandon mais de
fournir à chacun d’entre eux, le meilleur destin possible. A savoir le conduire
là où il a une chance d’être lu. Ou au moins feuilleté puisque c’est cela qui
le ramène à la vie à intervalles irréguliers.
Dimanche
6 Novembre : Les émeutes urbaines en cours défient le livre. On est
sidéré ! Et pourtant cela est. C’est ! Amen en latin. D’où vient que cette simple traduction se met dans
ce contexte à prendre une toute autre signification ? Je cherche en vain à
quelle œuvre littéraire raccrocher ce qui là
survient. Ce besoin d’alléger le fardeau
n’est ni un luxe, ni un caprice mais une nécessité absolue. C’est en général ce
qui fait œuvre. En général et en particulier d’où la forme spécifique de
chacune des dites œuvres. C’est ainsi que la mienne a pris ce que j’ai par ailleurs
appelé A la recherche du temps présent et
qui en tant que genre - si on s’en tient à la nomenclature littéraire en
vigueur dans mon pays - relève des Commentaires.
Définis dans la taxinomie comme le récit d’évènements auxquels l’auteur a
été mêlé…
Je
crois comprendre au fil des jours - comme je mets au propre cet agenda rempli
il y a déjà dix ans - qu’il n’a pas comme je le croyais en le faisant, comme
contrainte de trouver chaque jour à parler du livre, mais plus brutalement
d’envisager – de biais car la mort ne peut se regarder en face- sa disparition.
Au commencement je voulais simplement remplacer la chronique que j’avais
autrefois tenue pour une amie très chère, chronique écrite chaque jour pour lui
sauver la vie. J’avais décidé de ne pas la publier, et n’en ai même pas
conservé les doubles que j’avais un moment - dans le doute - gardés. Cette
décision était bien la conséquence de toutes les préventions habituelles que
j’entretiens contre la confusion des genres intimes et publics.
Mais
de fait, ce texte qui apparait là n’a plus rien à
voir avec les projets précédents. C’est qu’entre temps
le temps a coulé et que la société s’est tellement transformée qu’il est
difficile d’y trouver une continuité. Les citations de la page de droite me
paraissent de plus en plus hermétiques lors de la mise au propre, ce qui
n’était pas forcément le cas lors de la première rédaction de l’agenda. Elles
servent alors de ce que les géologues appellent les buttes témoins. Je m’achemine doucement vers
leur abandon que je n’aurais pas cru d’abord possible car c’est ce qui m’en
avait paru être une étonnante originalité.
Pour alléger le
fardeau, est-ce
l’opération qui consiste d’une façon ou d’une autre à me débarrasser de tout ce
qui n’est pas moi ? Une nouvelle étape de la désaliénation ? Dois-je
encore reporter là l’étonnant propos que j’ai vu un jour jaillir de ma plume Née esclave, je veux mourir libre ? Faut-il
admettre que toute œuvre est une sortie d’Egypte ? Même les œuvres
plastiques qui n’ont étrangement aucune part dans mes
textes, et encore moins les œuvres-minute – rapidement réalisées – qui
pourtant peuvent à n’importe quel moment difficile, me sauver la mise ?
Lundi :
Le fils du chiffonnier. J’ai beaucoup apprécié ces mémoires de Kirk
Douglas – acteur qui m’a toujours attirée – Je n’ai pas oublié dans le film Les Vikings, ce morceau anthologie
visuelle où l’on voyait son corps gracieux danser sur les rames du bateau. Je
recolle le cahier central qui comporte les photographies.
Mardi
8 Novembre : Au fur et à mesure que j’avance dans le livre d’Olivier Todd,
la séduction qu’exerçait le style ne parvient plus à cacher le côté règlement
de compte. Un exercice dont j’ai horreur. A cause du mot compte. Appliqué à des choses aussi graves, le terme est obscène.
De mauvais augure. C’est l’étymologie elle-même. Vengeance ne serait guère
mieux. Ce qui se fond dans l’Histoire transcendant les destins individuels,
c’est l’explication. Le dépliage du pli. On pourrait même inventer le dépli, il
aurait alors comme rôle de s’opposer au déni.
Mercredi
9 : L’extravagante idée d’aller faire la lecture aux résidents de la
maison de retraite dans laquelle est encore Maman après que mon père nous ait
déjà quittés. Je leur lirais alors - plutôt au conditionnel qu’au futur – car
il ne faut tout de même pas trop présumer de ses forces A la recherche du
temps perdu, ce guide de voyage dans les hautes classes de la société.
Le
10 : La conscience se précise que la fin approche et qu’il me faut
vraiment parvenir rapidement à la mise en ordre finale.
Le
11 : Je n’ai pas retrouvé la notation.
Samedi :
Finalement la toxicité du livre d’Olivier Todd me fait le rejeter et le
lendemain me prend même l’idée d’en faire un article critique. Cela m’arrive
rarement et il faut pour que cela se produise que je sois vivement émue et
cherche par cette prophylaxie à me débarrasser des affects. Sinon ils
m’envahissent et l’expérience a montré qu’il était nécessaire pour raison
médicale - et peut être possible pour raisons philosophiques - de me
débarrasser par ce chemin là.
De
Jacques Rivière : Toute pensée
réussie, tout langage qui saisit les mots auxquels ensuite on reconnaît
l’écrivain sont toujours le résultat d’un compromis entre un courant
d’intelligence qui sort de lui et une ignorance qui lui advient, une surprise,
un empêchement. Cela est vrai et c’est en quoi l’écriture aide à penser. Ce
fut en ce qui me concerne l’absolue jubilation de l’année 1984 où comme
explosée par la chimiothérapie, j’ai rassemblé les fragments de moi dans mon
grand œuvre alchimique Canal de la Toussaint : Une indispensable
monstruosité philosophique à jeter – si l’affaire tournait mal - dans la gueule
de Cerbère.
Le
13 : Encore une perte !
Lundi
14 : A la Bibliothèque Beaubourg je vais voir mes livres sur les rayons et
découvre stupéfaite que désormais je m’en fiche complètement. Je souhaite à
chacun un pareil détachement. Une sorte de désobéissance civile de
l’aliénation. Malheureusement l’emprise cybernétique augmente presque plus vite
que les modifications spirituelles qu’on parvient à conquérir. C’est une course
de vitesse contre la déshumanisation. A l’aune de l’analyse de la pensée
matérialiste, le pronostic est réservé.
Le
15 : Je lis dans l’autobus Souad, brûlée vive un livre terrible,
prêté par un ami. Une femme en me voyant vient m’en parler mais je ne suis pas
du tout d’accord avec l’angle sous lequel elle aborde la question. Elle
voudrait que les femmes occidentales se découvrant privilégiées se contentent
de ce qu’elles ont et en arrêtent avec leurs revendications féministes !...
Le
16 : Je termine Souad brûlée vive absolument épouvantée.
Jeudi
17 : Un critique canadien me demande mon avis sur la préface qu’il
envisage de publier à notre entretien sur la poésie, lequel sera intégré dans
un ouvrage plus vaste.
Le
18 : La joie de cette amie à qui j’offre Isaïe réjouis-toi! Et la
mienne de soulager ainsi ma bibliothèque sans perdre pour autant de vue que
c’est le titre de l’hymne religieux qui symbolise le mariage orthodoxe.
Samedi :
De nouveau un paquet de livres rapportés de la campagne. Cette noria est elle la métaphore de l’époque et signifiait elle
l’annonce d’une pérestroïka à la française ? Il aurait fallu que le projet
de datcha n’ait pas échoué et pour cela que la société française ne soit pas ce
qu’elle est ainsi que dans la même logique elle n’ait pas été ce qu’elle a été.
Il
est historiquement clair que le mouvement d’émancipation des femmes initié dans
la foulée de la Révolution Culturelle de Mai 68 a été totalement dévoyé, la
brèche faite dans l’étouffement ayant été confisquée par ces Messieurs qui n’en
avaient jamais assez.
Désormais
il est trop tard, au moins pour cette période de l’Histoire. La messe est dite.
Et encore même pas. C’est plutôt Game is over ! Se débarrasser de tous ces livres est ce la tragédie d’Elias Canetti
produisant cette œuvre absolument hermétique dénommée Autodafé ?
Ouvrage lu il y a bien longtemps et compris seulement récemment. Comme le Cassandre
de Christa Wolf dont le sens ne s’est révélé qu’après l’écroulement du Mur de
Berlin.
C’est
la puissance de la littérature de pouvoir rester ainsi en mémoire même lorsque
le sens demeure pendant longtemps une énigme qui finit par se dévoiler au
lecteur seulement s’il parvient à prendre sur lui et avec lui la signification
de ce qui survient. L’œuvre de l’écrivain fonctionne alors comme un écran sur
lequel le lecteur va pouvoir projeter ce qui le hante et dont il ne sait pas
encore quoi faire. Si toute œuvre est une sortie d’Egypte faut
il admettre que l’écrivain est un passeur qui montre un éventuel chemin
entre le EN de l’aliénation et le HORS de la pensée ?
Dimanche
20 Novembre : Je m’interroge sur un choix cornélien. A la campagne, faute
de place, pour en faire, dois-je remporter en ville, les livres ou les
draps ? Cette interrogation ne paraitra bouffonne qu’à ceux qui méprisent
la vie domestique se contentant de s’en servir comme d’une base arrière ou d’un
réservoir de potentialités à piller et gaspiller.
Je
n’aime pas l’absence de jouissance de la citation de Pierre Naville :
Les mots se cherchent et si parfois ils
se trouvent, c’est le plus souvent à notre insu ! Si c’était le cas il
n’y aurait pas de travail de l’écrivain. C’est un peu difficile à croire.
Surtout lorsqu’on le pratique soit même avec acharnement. N’avoir aucun pouvoir
sur son œuvre est une chose, ne pas travailler l’écriture du texte en est une
autre. Sans compter la coquetterie de l’auteur. Il serait de mauvais goût de
dire qu’on sue sang et eau comme les navigateurs solitaires en pleine tempête
embarqués dans un tour du monde toujours recommencé…
Lundi
21 Novembre : Je consulte mes dictionnaires encyclopédiques à la recherche
de l’astragale et de la malléole, mais sans succès. Le souvenir
d’Albertine Sarrazin commence à s’estomper. Force m’est de constater que c’est
un effet de l’âge car à l’époque son aventure m’avait vivement impressionnée.
Comme celle de Françoise Sagan et de Brigitte Bardot. Même si toutes ces femmes
faisaient scandale, elles nous montraient qu’autre chose était possible que le
funeste destin qu’on nous promettait.
Mardi :
La joie de tous ces livres d’art achetés pour mes cadeaux de Noël. Mon
désappointement d’en découvrir l’un écrit en anglais protégé par une cellophane
et du coup ne pouvant pas être offert comme je l’avais prévu. Je me résigne à
le conserver pour moi. Les reproductions de tableaux sont bien au dessus de ce genre de contingences. Je m’en veux tout de
même de m’être laissée prendre à ce piège. L’emballage n’était peut être pas tout à fait le fruit du hasard. Mais comme
disait Jacques Brel dans sa chanson La Fanette : On ne nous apprend pas à nous méfier de
tout !..
23
Novembre : L’opération bouffonne qui consiste à rechercher sur Internet
des nouvelles de mes éditeurs. Une fois n’est pas coutume, mais il me faut
veiller à ne pas recommencer cet exercice discutable. Prendre le monde comme il
est. Et surtout désormais comme il vient. La Révolution Cybernétique bat son
plein.
C’est
sans doute là, la genèse de cette idée baroque d’alléger le fardeau en bazardant la bibliothèque.
Encore faudrait il se renseigner sur l’étymologie de bazarder. S’il renvoie bien aux souks
orientaux, cela ne s’applique pas du tout. C’est tout au contraire une
liquidation froide et rationnelle. Non pas le produit d’une rage passionnelle
mais d’une détermination sans faille. Non pas le constat d’une désuétude et
encore moins d’une faillite mais tout au contraire la volonté acharnée
d’installer la nouveauté inéluctable dans un espace qui le lui permet.
Reconsidérer
plutôt que bazarder. Alléger le fardeau
pour reconsidérer l’affaire. Ou reconsidérant l’affaire découvrir qu’il est
possible sans rien perdre ni céder, d’alléger
le fardeau. C’est plutôt de cela qu’il s’agit. Sans compter l’aspect
pratique. Avec l’âge et ma production en quasi continu tant dans l’écriture que
dans les arts plastiques et textiles, je suis en passe d’être matériellement
débordée. Je ne dois pas être la seule dans cette situation mais les autres
sont peut être voire certainement plus précautionneux
d’eux-mêmes. Du moins pour ce que j’ai pu en constater.
Jeudi
24 : Sun Tzu lu dans cette petite oasis de paix
que constitue le restaurant du Centre Commercial de Goussainville. C’est un
espace que je fréquente souvent comme je sors de la maison de retraite et que défigurée
par l’absence de rencontre avec ma mère que je viens tout de même régulièrement
visiter, j’ai besoin de m’affilier à nouveau au monde. L’année dernière j’avais
été absolument bouleversée que pour le Jour de l’An le gérant soit venu me
serrer la main. Ce qu’il faisait d’ailleurs avec tout un chacun.
Il vous en
faut peu ! m’avait dit un jour un chauffeur de taxi à qui
j’expliquais à quel point l’avenue de Villiers bordée de ses deux rangées de
grands arbres et de palais de pierre me bouleversait. J’avais admis que c’était
vrai mais n’avait pas su, pas voulu ou pas pu lui expliquer de surcroit à quel
point je considérais qu’il s’agissait là, d’une grâce. J’avais sans doute
estimé m’être ainsi fait suffisamment remarquée. L’expérience m’ayant depuis longtemps
enseigné la précieuse et subtile connaissance qui manque à beaucoup de rebelles
et condamne à l’échec leur entreprise, celui de l’art de savoir jusqu’où ne pas
aller trop loin.
Je
ficelle l’épais volume du Fils du chiffonnier de Kirk Douglas, car
acheté d’occasion, ayant déjà ostensiblement servi, il est maintenant
totalement dépenaillé et menace ruine. Pourtant celui là
je veux absolument le conserver dans ma propre bibliothèque dans laquelle je
lui trouve effectivement une place ou plus exactement sa place. Ce qu’il y
raconte est déchirant et un exemple pour tout le monde. Dans ces temps de
liquidation, c’est une véritable consécration. Le mot ficeler n’a pas diverse
acceptions, mais dans le contexte diverses connotations.
La
coutume veut qu’on dise que les Russes aient lancé dans l’espace leurs engins à
l’aide de cornichons et de bouts de ficelles – faute de savoir dénommer le constructivisme nécessaire de ces
peuples là – mais concernant la ficelle, je ne crains moi non plus personne.
Sans doute là aussi à cause de l’enseignement de mon père qui se mettait
lui-même en boîte en vantant l’alpha et l’omega du
rangement rationnel en évoquant le contenant sur lequel on pouvait inscrire Petits bouts de ficelle ne pouvant servir à
rien ! Fanatique de la mise en ordre et de son maintien, on aurait pu
qualifier mon géniteur de dangereux, s’il n’avait pas accompagnant ses
instructions transmis cette publique autodérision. Du coup j’ai cherché et
trouvé des usages nouveaux à ces cordelettes de tous poils…
Samedi
au séminaire de Paris VIII, un cinéaste me dit On a tous vos livres à la maison !... J’en
suis touchée. Je n’ose pas lui dire c’est trop, or c’est pourtant exactement ce
que je pense. Les portes de secours
battant sur les étoiles… chante Léo Ferré à qui
veut bien l’entendre à force de l’écouter. La totalité n’est pas toujours bonne
conseillère. Pour n’être pas clos dans sa propre construction, il faut que
quelque chose manque. C’est ce qui permet la mise en route. Je ne le sais que
trop.
Dimanche :
Les livres aujourd’hui ce sont plutôt les albums que je donne à mes petits enfants… On peut tout de même les considérer comme
des livres. En tous cas dans mon esprit c’est ainsi que je les leur remets.
Simplement ils sont adaptés à la personnalité des récipiendaires.
Je
ne retiens pas la citation de Jean Luc Nancy et lui substitue celle de Kepler
que j’aime tout particulièrement Mon
livre peut attendre un siècle son lecteur comme Dieu lui
même attend depuis six mille ans son témoin. Elle a entre autre,
l’avantage de n’avoir pas besoin d’être commentée. De fait, elle va même
jusqu’à l’interdire. Une sorte de sacré absolu, le sacré scientifique.
Lundi :
Découragement complet concernant la littérature. Cela arrive, mais ce n’est pas
fréquent. Il y a longtemps que je sais le tonus variable selon les jours. Je ne
connais rien à la physique quantique, mais je ne serais pas étonnée qu’on
découvre un jour que la littérature en prise directe sur la physiologie
profonde des individus peut l’être aussi. Peut l’être et même l’est vraiment.
La vie même.
Mardi
29 Novembre : Le devoir de discernement. Il faut se résoudre lorsqu’on
achète des livres à résister à certaines tentations. Même et surtout si ses
propres choix ne sont ni ceux de l’époque, ni ceux de son voisin.
30
Novembre : Sidérantes Considérations sur les causes de la grandeur des
Romains et de leur décadence de Montesquieu.
Jeudi
Premier Décembre : Je recommande ce livre à mon voisin. C’est tout ce que
je peux faire.
Le
2 : Au chevet de ma mère en agonie, je poursuis la lecture de ce livre de
Montesquieu.
Samedi :
Toujours au chevet de ma mère, je suis dans Les voyageurs de l’impériale qu’Eliane
m’a recommandé(s) lorsque surgit mon neveu que je n’ai
pas vu depuis bien longtemps. Il vient voir sa grand-mère, il fait bien. Au
bord du lit de la mourante, la conversation n’est pas facile.
Dimanche :
Pas de livre aujourd’hui. Le regard vitreux de ma mère me fait lire directement
dans l’au-delà. Non seulement c’est une expérience pas banale mais en fait une
lecture absolument sacrée. Je ne regrette pas de l’avoir accompagnée jusque là.
Nul ne peut dire d’où
vient un livre, surtout pas celui qui l’écrit. Paul Auster affirme là
quelque chose de juste. C’est bien dans ce sens qu’ils résistent tous seuls
sans qu’on ait besoin de les aider à le faire. C’est leur côté irrécupérable
qui assure leur définitive indépendance. A la transcription de l’agenda,
j’avais malencontreusement reporté la formule celui qui écrit mais m’étais rapidement rendu compte d’une
anomalie sans pouvoir vérifier sur le carnet original que je m’étais comme pour
tous mes manuscrits dépêchée de jeter dès la première mise au propre.
J’ai
horreur des brouillons, cela rime trop avec le qualificatif de souillon dont ne
cessait de me taxer ma mère. Le sens profond de la citation imposait de
corriger la faute de transcription. J’aurais pu le faire d’autorité, mais ce
n’est pas mon style. Je suis de formation scientifique, et c’est d’ailleurs
cette genèse qui m’a permis de libéraliser la langue en la déverrouillant sur
le modèle de la Classification périodique
des éléments de Mendeléiev.
Lundi :
Au chevet de ma mère un petit bout des Voyageurs de l’impériale. Dans la
collection de poche. Elle tient vraiment dans la poche, c’est un autre des
miracles qu’a généré le livre.
Mardi
dans la même situation, j’écoute la Radio.
Le
7 : L’idée du livre que je pourrais offrir à Eliane pour Noël.
Jeudi :
Je continue à vider ma bibliothèque. L’été 36 de Poirot-Delpech
et Moi, j’aime pas d’Annie Saumont
qui écrit essentiellement des nouvelles paraissant en recueils. Je ne sais pas
si c’est un parti-pris ou un fait, en tous cas cette homogénéité me trouble.
Vendredi
9 : Vertige et malaise de tous ces livres entassés à la FNAC. J’y suis
allée pour compléter ma série de cadeaux du Jour de l’An. Ce n’est pas une
opération à faire à la légère au dernier moment. Il s’agit de la Cérémonie
des cadeaux. Extraordinairement sérieuse. Je plains ceux qui croient
bon de s’en dispenser en offrant n’importe quoi.
Le
10 : Je prépare un lot de livres que j’offrirais à une thésarde pour qui
j’ai beaucoup d’affection. Je le lui remettrai en simulacre de distribution de
prix à la fin de sa soutenance.
Dimanche :
La satisfaction d’avoir réalisé mon projet. J’ai effectivement remis le paquet
à l’impétrante en lui disant à haute et intelligible voix, de telle sorte que
chacun en soit témoin : La
République Française vous décerne la mention Excellente !
Nous allons
conformément et tout d’un train mon livre et moi. Cette phrase ne
m’étonne pas de la part d’un Montaigne dont l’absence de transcendance m’a
depuis longtemps sidérée chez un écrivain réputé. Peut-être est-ce justement
pour cela qu’il a un tel succès. Hélas, chez moi c’est l’inverse ! En
allant bien au-delà de moi des décennies durant, mes livres m’ont crevée.
Entendons crevée de fatigue !
Lundi
12 Décembre : Le bonheur absolu du don de ma bibliothèque tout autour de
moi comme preuve du détachement et de l’amour.
Le
13 : Les voyageurs de l’impériale que j’emporte cette fois encore
au chevet de ma mère, mais dont je ne fais rien. A l’impossible, nul n’est
tenu. Il est faux que la lecture puisse se maintenir en toutes circonstances.
Alors quoi donc ? Le refus de la mort ? La vie même !
Mercredi :
Pour ne pas avoir l’air idiot, toujours dans cette situation si particulière de
Décembre 2005 où se dénoue enfin ma tragédie, j’achète un numéro de la revue
Esprit. On la vend à la Maison de la Presse en haut de ma rue.
15
Décembre : La joie d’Alexandre qui déballe son cadeau de Noël constitué de
trois livres. En matière de don, l’ancre de miséricorde. En matière de lien
également. C’est peut être d’ailleurs la même chose.
Du moins dans mon panthéon de l’émancipation.
Le
16 : Les volumes de la Pléiade en grande quantité dans la bibliothèque de ma
voisine chez qui a lieu cette fois, l’annuelle réunion des copropriétaires.
L’homogénéité du panorama me crée du coup un léger malaise.
Samedi :
Au restaurant de Levallois, la très chère qui m’accompagne se demande si elle
va oui ou non, m’offrir le Catalogue raisonné de l’œuvre de Balthus. Le fait
est qu’autant pour elle que pour moi, cela mérite réflexion. On dira qu’on a de
bien étranges conversations, mais il en est bien d’autres entre plus bizarres,
avec elle et avec d’autres. Le fait est que j’ai la langue bien pendue.
Nombreux sont ceux qui voulaient me faire taire. Du coup il a bien fallu que je
me colle à l’écriture…
Le
18. Hésitation burlesque du sort qu’il convient d’attribuer à un petit
fascicule retrouvé sur une étagère et intitulé Tout sur tout. Dans ce cas là en effet on peut parler de désuétude. C’est peu dire
que le monde a changé. Mais de là à déterminer ce qui transcende ce changement,
c’est une autre paire de manches !
Laisser le livre ouvert
sur la table. Jacques
Rigaut. Sur la page de droite de l’agenda, en 2005
j’ai écrit surtout pas, les mots
s’envolent comme un rien…
Les
19 et 20 l’angoissante et récurrente question de la saturation de la
bibliothèque et l’obsession de la vider en faisant des cadeaux autour de moi.
Mercredi :
L’idée d’en caser un à un pote que je dois rencontrer demain.
Jeudi
22 : Je le lui case effectivement et il en est très heureux. Je me demande
si le mot fourguer ne serait pas
mieux venu.
Vendredi
23 Décembre : Emballés l’un au-dessus de l’autre les œuvres de Marx et
celles de Matzneff. Il est des rencontres
inattendues. Dans la vie aussi, c’est souvent comme cela.
Avenue
Niel Samedi, la petite librairie a sur son éventaire installé sur le trottoir,
une série de livres peu engageants. Même lorsque je marchais allégrement, elle
ne faisait pas vraiment partie de mes parcours.
Dimanche
de Noël : L’unique livre qui demeure dans la chambre de Maman que nous
sommes allés vider le surlendemain de sa mort.
Lundi :
Je range ce seul livre retrouvé dans un carton, pour préparer désormais le
partage équitable de l’héritage. M’en tenir à la loi, ma sauvegarde au milieu
de toute cette horreur.
Le
27 : L’idée d’offrir le livre de Todd à Jacqueline dans l’espoir qu’elle
ne l’ait pas déjà.
Mercredi
28 Décembre : Enterrement de Maman au Père Lachaise. Je me demande dans
lequel des cartons que j’apporte à mes collatéraux est le seul livre qui ait
été dans la chambre de nos parents désormais tous les deux décédés à quatre
mois d’écart et réunis là dans leur tombe. Il ne s’agit pas ici d’une pensée
parasite, mais au contraire d’une concentration extrême sur le sujet.
29
Décembre : J’offre effectivement le Todd à Jacqueline, au Rostand où j’ai
mes habitudes. Face au jardin du Luxembourg, ce beau restaurant est l’ami des
livres. Non seulement il y en a en permanence sur la cheminée mais même un des
miens au mur, sous verre dans un cadre doré.
Vendredi
30 Décembre : Grâce à la messagerie électronique l’annonce de l’avancée de
la parution de livres collectifs dans lesquels on publie certains de mes
textes.
Samedi
31 Décembre : Le bonheur de l’échange des cadeaux du Jour de l’An, de
toutes parts des flots de livres…
Jeanne Hyvrard - 2014 sur un agenda de 2005
Mise à jour : décembre 2014