SEPTUAGENESE

24 Poèmes d’âge et d’étonnement (2015-16)

 

 

Dans la cour

La nuit obscure

Attend que tournant sur son axe

Notre Mère La Terre

Présente à nouveau son visage

A la Gloire Solaire

Sa génitrice à Elle

 

Dans le marasme

De mon âme

Je chemine

A la rencontre du jour

 

29 Janvier 2015

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Attendre déjà

Que le jour se lève

Encadrant de rideaux blancs

La scène du monde

La nouvelle

L’inédite

 

Attendre que les masses sombres

Reprennent par elles-mêmes

Leurs propres formes

Et que l’ordre s’impose enfin

A l’organisation

 

Attendre que le jour se lève

Et que la vie m’emporte

 

Résister à la mort

En respirant obstinément

Non comme un acte de foi

Mais d’espérance

Et de charité

Envers soi

 

2 Février 2015

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Dans l’embrasure éclairée

De l’autre côté de la cour

La fenêtre allumée

Guide vers la sérénité

Mon effroi en perdition

 

Il fait nuit

Le jour est encore loin

Dans un ailleurs tout autrement

Dont je ne sais encore rien

 

Devant l’écran de la lumière

Je vois drus en rangs serrés

Les flocons de neige tomber

Vision étrange

 

Ma vie retourne vers sa source

Les amours blanches

De la glace et du givre

Me faisant dès le moment

Du commencement

La colombe maculée

Sans aucun lieu

Où se poser

 

2 Février 2015

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Prisonnière de l’Histoire

A l’assaut de ma citadelle

Je la vois sidérée

S’ébouler château de sable

A l’amble des marées

L’océan gagnant peu à peu

Sur les terres dévastées

 

Prisonnière de l’Histoire

J’attends médusée

La fin de toutes ses menées

 

Nul avenir pourtant

Lisible dans les entrailles

Des oiseaux inutilement

Sacrifiés

 

Nulle prophétie

Entendue clamée

Aux rebords des chemins

Abandonnés

 

Nul destin

Déchiffré dans les astres

Comètes ou météores

Impavides sur leurs axes

 

Prisonnière de l’Histoire

A l’abri de ma citadelle

Battue en brèche

Par tous les éléments

La poussière

Le vide

L’air et le vent

Protégée par ma chair boursoufflée

Je veille

Et vigile incorrupté

Mon esprit résiste

Fier de m’expliquer

Ce que je ne peux comprendre

 

3 Février 2015

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Le jour se lève

Eclaircissant lentement

La noirceur de l’époque

 

L’angoisse recule

Laissant assez de place

Pour élever pierre à pierre

Le mur de soutènement

De l’impérieux devoir

De recommencement

 

Desserrant le carcan

La nuit se retire

 

Le jour se lève

C’est le grand renversement

 

12 Février 2015

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Mon cœur bat comme il peut

D’avoir tant battu

Débattu

Combattu

Sans céder sur rien d’autre

Que la couleur de mes cheveux

Et à cause de la raideur de mes genoux

L’élégance de ma marche

 

Mon cœur bat comme il peut

Pauvre oiseau prisonnier

Affolé

D’avoir déjà si longtemps résisté

 

Pauvre pigeon désemparé

De tenter encore

De s’échapper

 

15 Juin 2015

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Toutes pareilles

Déployées métalliques

Persiennes fermées l’après-midi

Repliées

Sur les fenêtres ouvertes au matin

 

Règne la canicule

Et pas seulement

De l’autre côté de la rue

 

Toussent les voisins

Eux aussi asphyxiés

Pic de pollution

Fureur de l’été

Mais pas seulement

 

Le climat change

Parait-il

 

Il faut s’y faire

Ou mourir

 

5 Juillet 2015

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Pas de miroir déformant

Détournant

Voilant l’ampleur du monde

Et faute de pouvoir

M’y refléter

Pas de moi non plus

Rien qu’un je

Eperdu mais non perdu

Dans l’immensité

De la multitude

Foultitude inouïe

De cette salle des pas perdus

Pas d’avoir non plus

Rien qu’un être

Au milieu de tous ces étants

Etres êtresses

Vivants et inertes

Pour former tous ensemble

Chaotique et intrinsèque

A chaque instant

Inédit

Le Grand Etant

 

22 Juillet 2015

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Ce que j’ai arraché au Temps

C’est le temps

Et à mes géniteurs

La géniture de l’engendrement

 

Ce que j’ai arraché au monde

C’est le Monde

Et à ma vie le nom du Nom

 

15 Juillet 2015

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Comme celle d’un violon brisé

Dont les fragments épars

Résonnent encore des partitions

Autrefois mises en mémoire

Dans la béance du présent

Gouffre ouvert sur l’abîme

Dans le champ du trop plein

Du trop vide

Chaos

Jungle

Charnier

Tohu-Bohu

Au commencement du Déluge

Sous une pluie battante

Battant

Tout un chacun

Chacune

Sans plan

Sans esquif

Sans capitaine

Refusant d’errer avec les autres

A la surface des eaux

Chaque jour plus glauques

Et plus fangeuses

Poussée par l’espérance

Née de l’étreinte

De la violence et du bouleversement

Fuyant les bords corrodés

Et corrosifs

Voici que lentement

Mais irrémédiablement

Concentrée au mitan de moi-même

Mon âme se rapproprie

Vibrant à l’amble

De l’ultime corde

Qui n’a pas encore cédé

 

9 Octobre 2015

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Expulsée

Dans un hoquet

Du ventre de ma mère

La Mer Océane

Poissonne atavique

Atypique

Artistique

Archaïque

Je me suis au réveil

Ecrasée

Sur la Terre vague et vide

Non encore incréée

Mais sans boussole ni pendule

Au milieu des vents et des marées

Pourtant déjà en passe

D’être dévastée

 

Expulsée dans un hoquet

Du ventre de ma mère

La Mer Océane

J’en garde au flanc

La blessure ineffable

Celle de la trace de l’unité

Mémoire insoutenable

De ce qui nous a précédés

 

23 Décembre 2015

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Saint-Valentin passée

En dépit du soleil et fond bleu

Ciel noir revenu

Promesse d’orage

A contre-saison

Le regret comme l’espérance

Contrepoids à contretemps

Printemps d’avant-garde

Chagrin remisé

Chagrin remisant

Et la perspective

Et le ressourcement

Tant va le temps à l’eau

Qu’à la fin il s’égare

Tant va le temps au temps

Qu’à la fin il s’efface

 

Mi Février 2016

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Il est d’une humeur de dogue

Mais il ne mord pas

Ne montre pas les dents non plus

Grogne seulement

Là où on ne l’attend pas

Bien élevé

Il a gardé de ses ancêtres

Le goût de l’errance sauvage

C’est cette contradiction qui charme

Celle qui parvient à l’approcher

 

17 Février 2016

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Tonnerre et flocons

Rebours de toutes saisons

Mon âme hébétée

 

3 Mars 2016

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Dans le jour levant

Derrière la fenêtre éclairée

De l’autre côté de la cour

Une silhouette masculine

Alerte et résolue

A mettre en ordre

L’ordonnancement du monde

Plie

Se déplace

Range

Replace

Et fixe un moment

Regardant par ici

Me découvre sur ma couche

Informe et gisante

Sur la grève du petit matin

Dans l’attente

De l’injonction

De consentir à la vie

 

Mais le jour

N’est pas tout à fait levé

Et ce n’est qu’une silhouette

De l’autre côté de la cour

Fut elle là bas celle d’un homme

Dans un monde

Pas encore tout à fait créé

Où geste non le Temps

Ce petit frère de l’Eternité

Mais la forme

Cette utopie de la matière

 

De l’autre côté de la cour

C’est déjà le matin

Et bientôt la fenêtre s’éteint

 

Dans le chant des oiseaux

Le train du monde s’ébranle

Et roule

Me laissant sur le quai

Adieu pas même déchirant

Tant cette vie fut pleine

Au-delà même

De ce qu’un être

Peut acclimater

 

Le train du monde s’ébranle

Et roule roule roule

Bien au-delà de moi

 

Premier Avril 2016

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Remettre en route

La route du monde

Même barrée

Brinqueballée

Bousculée

Bouchée

Bombardée

 

Remettre en route

La route du monde

Fut-elle réduite à un sentier

Une sente

Une piste

Une trace presque effacée

L’empreinte d’un chevreuil

D’un pas d’oiseau

Ou un fil d’araignée

 

Remettre en route

La route du monde

Aussi mince soit elle

Pourvu qu’elle colle encore

A la Terre

A l’humus

Et à l’écho lointain

De ce grondement sourd

Magmatique et tenace

Mémoire du premier cataclysme

L’arrachement à l’Astre-Mère

Et l’adieu à son sein

 

7 Avril 2016

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Abandonner le cauchemar au cauchemar

La destruction à la destruction

L’autrefois à l’autre temps

 

Prendre à bras le corps

Le jour nouveau

Et l’enfourcher comme Pégase

Né du meurtre de la Méduse

Cette terreur hypnotique

Pour dressée sur l’encolure

De ce coursier blanc

Familier du firmament

Caracoler avec lui

Dans un monde inconnu

Plus jamais comme avant

Celui du désormais

Perpétuel aujourd’hui

 

10 Avril 2016

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Réveillée par les crampes

J’ai découvert mon berceau

Renversé au milieu de l’horreur du monde

 

Partout c’est la guerre

La haine

Le mépris

Le déni

 

Et voilà que ce matin hélas

Je découvre ce coin

Que j’avais pourtant cru

Pouvoir préserver

Est ridiculement bouleversé

Par ce surcroît de gêne

De manque

Et de chagrin

 

20 Mai 2016

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Dans les Octantes

Comme en proie

A la longue et douloureuse

Maladie mortelle

J’errais dans le labyrinthe blanc

D’une nouvelle discipline

Dont j’ignorais tout

La chimiotique

Et qu’il me fallait tout réapprendre

De la station debout à la marche

Et de la langue au lexique

Je n’avais plus d’autre boussole

Que l’espace vide

Entre j’étais et je serai

 

Mais aujourd’hui

A mon âge bientôt crépusculaire

Lequel non ne me taraude

Car je ne crains pas le retour

Dans le Grand Tout

Dont je n’ai jamais été séparée

Mais qui hélas me raidit

Et parfois me perclut

Je n’ai d’autre soutien

Au-delà de ma gratitude

Pour ce qui a été

Qu’un impavide Je suis

 

8 Juin 2016

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Mourir proprement

Plier au carré

Les draps du monde

Et les laisser posés en pile

Sur ce qui fut ma couche

Dans le repos

L’amour

Et la félicité

 

25 Juin 2016

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A travers le rideau

Exceptionnellement tiré

Et encore seulement à moitié

Derrière le dralon ondulé

En carreaux bleu sombre

Et par endroits presque roi

Un quadrilatère lumineux

M’annonce ce jour

Encore caniculaire

Maladif et tourmenté

 

La mort rode

Je sens son souffle

Court et bruyant

Il faudrait fuir

Vers des lieux plus amènes

Mais l’amour me retient

Funèbre dilemme

Menace funéraire

 

26 Juillet 2016

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Prophétie d’anomie

Epouvanté des horreurs qui m’habitent

Désormais

Mon sang fuit mes veines

Pour se répandre entre mes chairs

Et se rassembler n’importe où

En plaques sombres

Obligation dirimante de l’époque

Pour devenir au fil des jours

D’inquiétantes taches brunes

Dernières marques d’humanité

Pourtant

Informes et informelles

Balises de détresse

Signes cabalistiques

Témoignage indéchiffrable

D’une vie chaotique et tenace

Qui bien que ballotée

S’efforce de durer

 

31 Juillet 2016

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Sans dessus dessous

Ni soi ni autre

Ni même ni différent

Ni hors ni en

Ni dedans ni dehors

Non impensable

Mais impensé

De l’Histoire le grand tournant

Son ineffable tourment

Comment désembourber

Le char de la pensée

 

9 Septembre 2016

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Caresse de l’Astre Mère

Sur le rebord du toit

La trace orange s’étend

Au fil du temps

M’appelant à rejoindre

La troupe marchante

Des vivants

 

Mais je ne peux

Et sur le lit reste étendue

Ma vie s’évapore

Depuis trop longtemps

Ravagée

 

 

22 Septembre 2016

 

 

Jeanne Hyvrard

 

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Mise à jour : avril 2017